mardi 28 juillet 2009

RENCONTRE AVEC UNE FAMILLE D'ACCUEIL D'ENFANT BELARUSSE


Depuis presque vingt ans, les fédérations du Nord et du Pas-de-Calais du Secours Populaire Français organisent, pendant l'été, l'accueil de près de 250 enfants bélarusses des environs de Moghilev, une zone particulièrement touchée par les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl. Pour chacun d'entre eux, c'est l'occasion d'un séjour prophylactique et d'une rencontre avec une famille de la région. Portrait d'une famille d'accueil en milieu rural, à l'occasion de la visite d'une équipe du SPF.

C'est à Rodelinghem, près de Ardres, dans le Pas-de-Calais, chez Monsieur et Madame Ferrant, agriculteurs à la retraite, qu'a été accueillie cette année, pendant tout le mois de juillet, la petite Victoria. Pour elle, ce n'est pas tout à fait une première. Elle était déjà venue chez eux l'année précédente. Mais, à huit ans et demi, le voyage du Bélarus en France reste une aventure. Même si...

«Dimanche dernier, c'était la fête de la famille...»

«Dimanche dernier, c'était la fête de la famille explique, au milieu des rires et avec un air faussement bourru, Monsieur Ferrant aux interprètes bélarusses et aux membres du SPF du Pas-de-calais présents : «Ils y avait presque cent personnes ici. Mais, Victoria ne s'est pas du tout trouvée dépaysée.»
Après que Victoria ait fait visiter sa chambre aux traductrices et se soit entretenue avec elles – l'un des buts des visites du SPF aux familles est de faire le point sur les problèmes éventuellement rencontrés par l'enfant dans son contact avec la familles d'accueil -, la conversation s'engage avec cette famille habituée à l'accueil d'enfants et, quand ils étaient en activité - à la ferme, ils étaient éleveurs et cultivateurs - à l'accueil de jeunes en général.

«On essaye de tout faire pour que les enfants soient heureux»


«On essaye de tout faire pour que les enfants soient heureux souligne Madame Ferrant. On insiste pour que Victoria mange des légumes. Les fruits, il n'y a pas de problèmes, mais les légumes c'est plus difficile.» Un petit peu intimidée, Victoria, répondant à nos questions, confirme qu'elle est contente d'être là. Elle vient de passer une semaine à Bourbourg, en Flandre maritime, chez la fille de Monsieur et Madame Ferrant qui accueille par ailleurs, en famille, un enfant bélarusse en août pour la fédération du Nord du SPF.
Expliquant comment ils avaient pris connaissance de l'initiative du Secours Populaire Français, Madame Férrant raconte : «C'est dans la revue paroissiale de la commune que nous avons vu que des enfants Bélarusses avaient été accueillis pendant huit ans par une famille de la commune, différents enfants, à chaque fois pendant un mois. L'article se concluait par : - «Pourquoi pas vous ?» Nous avons pris contact avec cette famille et la décision d'accueillir un enfant bélarusse avec le Secours populaire a suivi.»

«Pas une butte de taupe...»

«Nous sommes allés en Bélarus l'année dernière témoigne Monsieur Ferrant : «Après soixante dix kilomètres de route depuis Moghilev et quatre-vingt de piste dans la forêt, nous nous sommes allés sur place, dans les régions les plus proches de l'explosion. Des kilomètres avec, de temps en temps, une ferme perdue dans la campagne. Dans un village qui apparaît, personne. Pas un oiseau. Des petits bouleaux rabougris. Dans cette région, ce sont des plaines et des forêts qui sont restées en l'état depuis le jour de l'explosion. Nous, nous sommes paysans. Dans les champs, on regarde les buttes de taupes. Pourquoi ? Parce que s'il y a des buttes de taupes, c'est qu'il y a du lombric. S'il y a du lombric, c'est qu'il y a de l'humus dans le sol. S'il n'y a pas d'humus, c'est que le sol est mort. Là, rien. Pas une butte de taupe...»
«D'abord, nous, nous connaissions Tchernobyl par les journaux précise Madame Ferrant : «C'est en parlant avec nos voisins qui avaient déjà été en Bélarus que nous avons pris conscience de la situation. De la situation sociale et économique du pays aussi. La moyenne du salaire en Bélarus, c'est 200 à 250 euros.»

Un dernier mot en Bélarus

Le bonheur des époux Ferrant et celui de Victoria sont sensibles. Après deux séjours passés dans cette famille, en France, la petite bélarusse a pris ses repères. «Elle comprend tout» assure Monsieur Ferrant, son «papy» selon les termes de Victoria. En tout cas, Victoria sait quelques mots de Français qu'elle sait utiliser quand elle se chamaille avec leur petit fils.
Un dernier en Bélarus pour conclure. Monsieur et Madame Ferrant ne connaissent pas la langue bélarusse. Sauf un mot qu'ils sont arrivés à retenir : «Mama». La «mama» que joint Victoria de temps en temps par téléphone – pas trop longtemps cependant - est au pays. Pas besoin de traduction. Le reste se dit avec les yeux.

Jérôme Skalski

Publié dans liberté 62 n°871

Publié dans La Terre n°3380

lundi 20 juillet 2009

LA SIGNATURE DU PROTOCOLE DE FIN DE CONFLIT EN "ATTENTE" CHEZ BOSAL ANNEZIN


Suite à l'audience du mardi 7 juillet au Tribunal de commerce d'Arras, deux possibilités étaient ouvertes concernant l'avenir de l'entreprise Bosal, équipementier automobile spécialisé dans la fabrication de pots d’échappement pour Renault et PSA en redressement judiciaire depuis le début de l'année et basé à Annezin, près de Béthune : la liquidation judiciaire pure et simple ou la reprise de l'activité commerciale par Daniel Cassier, directeur marketing de Bosal France.

La décision définitive du tribunal en faveur de la seconde option a été rendue publique le vendredi 10 juillet. En tout, ce sont 298 employés de Bosal Annezin qui receveront leur lettre de licenciement dans les jours à venir et seuls seront sauvegardés 88 emplois dont 20 sur le site même.

Près de 300 licenciements

Dans le cadre des négociations sur le protocole de fin de conflit entamées deux jours avant l'exposé de la décision judiciaire, la CGT avait accepté de lever son piquet de grève le jour de cette annonce afin se placer dans les meilleures conditions pour obtenir, selon Arnaud Buret, délégué CGT de Bosal Annezin , la prime de licenciement en faveur de laquelle l'organisation syndicale était et reste mobilisée. «Par contre, les autres syndicats ont maintenu leur piquet explique-t-il. Dans les négociations du protocole de fin de conflit, une prime d'un peu plus de 13 000 euros représentant la vente du bâtiment à Artois Com [la communauté d'agglomération de Béthune et Bruay qui s'était engagée à racheter les bâtiments de l'entreprise afin, tout d'abord, de soutenir une offre de reprise industrielle ndlr ] était en balance. Nous demandions aussi la non-poursuite des grèvistes et le paiement des jours de grève. Pour l'instant, l'administrateur est injoignable. C'est le silence radio total. Un premier occord était dans les tuyaux. Les autres syndicats ont refusé de le signer. Un autre accord, inférieur au premier, a été proposé. Pour l'instant, rien n'est signé. Nous, dans le mouvement, nous avions privilégié l'emploi. Avec la décision du Tribunal de commerce, cette position a été balayée par la volonté de Renault et Peugeot.»

Il était inutile de risquer de tout perdre

«Une des condition posée par l'administrateur, c'était que toute entrave à l'entrée dans l'usine soit levée continue Arnaud Buret . Pour nous, sachant la position de Renault et PSA, il était inutile de risquer de tout perdre et de voir Cassier faire volte-face en prétextant le bloquage de l'usine. Avec la décision du tribunal, le risque était trop grand. Les grands fautifs de la situation vont s'en sortir : Renault et Peugeot et Karel Bos, le patron de Bosal. De notre côté, nous sommes toujours sur la brèche mais, en dehors du piquet de gève.» Commentant la mobilisation actuelle chez New Fabris, équipementier automobile pour Renault et PSA basé à Châtelleraut, le syndicaliste conclut : «On retrouve les même protagonistes et le même schéma.»

Jérôme Skalski

Publié dans Liberté 62 n°870

dimanche 19 juillet 2009

LE GRAND TRUQUAGE

Comment l'Etat Sarkozy manipule les statistiques

Dans Le grand truquage, comment le gouvernement manipule les statistiques publié cette année aux édition La Découverte, un collectif d'une dizaine de statisticiens professionnels exprime son «indignation» et dénonce, par la force de l'analyse, l’objectif de l'actuel président de la République de contrôler au plus près l’information économique et sociale.

Nous ne trouverons pas Lorraine Data, l'auteur du Grand truquage, comment le gouvernement manipule les statistiques, dans l'annuaire. Et pour cause. Elle ne fait que prêter son nom à un collectif d'une dizaine de statisticiens, la plupart de «service public», qui, pour des raisons de prudence, ont préféré, malgré le clin d'oeil – «Lorraine» pour «Metz» où le gouvernement Fillon-Sarkozy entend délocaliser l'INSEE; «Data» pour les «données» qu'il cherche à «bricoler» -, garder l'anonymat. En publiant cette brillante et accablante analyse, leur intention est explicite. Il s'agit pour eux d'alerter l'opinion sur «les dérives de plus en plus inquiétantes qu'[ils] constatent dans la production et l'usage des statistiques» de la part du gouvernement actuel et «faire part de [leur] indignation face à ces dérives.»

Alerter l'opinion sur les dérives de plus en plus inquiétantes dans la production et l'usage des statistiques

Le tableau de ces «dérives» et «manipulations» mis en rapport, terme à terme, avec les thématiques de la «communication» gouvernementale est édifiant et saisissant. Associé au processus de tentative de mise au pas des satistiques publiques, il témoigne «avec la mise sous contrôle de la justice, l'asservissement de l'audiovisuel public, la mise en cause du droit d'amendement du Parlement, l'omniprésence médiatique [de Nicolas Sarkozy] et l'existence d'un véritable système de cour» de l'émergence d'un régime de gouvernement en contradiction de plus en plus flagrante avec les valeurs républicaines et démocratiques de notre régime politique. Mais le propos de Lorraine Data n'est pas seulement de l'ordre de la dénonciation. Il bat le rappel d'une résistance qui s'organise en faveur de «l'esprit du service public» et à laquelle s'associent ceux qui, de plus en plus, se sentent, en France, en étrange pays.

Une véritable typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale»

Dans l'Introduction de leur ouvrage, les auteurs du Grand truquage décrivent une véritable typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale». La première d'entre elle, la «plus prisée», consiste à «ne retenir que ce qui arrange» c'est-à-dire «à selectionner parmi différents indicateurs possible celui qui évoluera dans le sens souhaité et à ne plus communiquer que sur lui». Ce procédé, «le plus facile à mettre en oeuvre» aussi, est examiné dans le détail dans le chapitre consacré à l'analyse des «chiffres de la pauvreté» qui fourni «l'un des meilleur exemple de ce type de manipulation.» Mais ajoutent-ils «comme l'ont montré les pratiques autour du contrat nouvelle embauche (CNE), le gouvernement peut également jouer sur les différences qui peuvent apparaître lorsque plusieurs sources sont à l'origine d'un même indicateur, en retardant la publication des données qui lui sont moins favorables, voire en les censurant.»

Ecran de fumée et thermomètre faussé

Autre méthode, «utiliser un indicateur écran» «Alors que la question des inégalités est au coeur du débat politique explique Lorraine Data, un second type de manipulation «consiste en l'utilisation privilégiée de statisatiques qui masquent l'évolution réelle de ces phénomènes». Exemple type, la focalisation du discours gouvernemental sur l'indice des prix pour éviter d'engager le débat public sur «l'ampleur et la diversité des inégalités de revenus et de consommation dans notre pays.»
«Changer la façon de compter en gardant apparemment le même indicateur». Troisième procédé, celui qui consiste à fausser le thermomètre : «Piloter les données administratives à la base de certains indicateurs constitue une troisième méthode usuelle de manipulation statistique. Depuis quatre ou cinq ans, elle est particulièrement prisée par nos gouvernants, même si leurs prédécesseurs ne s'interdisaient pas totalement d'y recourir». Les différentes chapitres du Grand truquage «fourmillent d'exemples de modifications institutionelles et de changement de méthode de gestion des services publics dont l'objectif principal – mais bien sûr inavoué – est de modifier les statistiques dans un sens favorable à l'évaluation de l'action gouvernemental.» Premier exemple clé, les «chiffres du chômage» qui par voie de réaffectation de «certains demandeurs d'emploi dans une nouvelle catégorie» ont baissé, par la grâce de l'ANPE, entre 2005 et 2007. Autre exemple clé : les «chiffres de la délinquance». Ainsi, par exemple, «déqualifier un délit en contravention, rassembler plusieurs faits dans un seul enregistrement, retarder la transmission au-delà de la clôture mensuelle de l'enregistrement sont (...) d'efficaces moyens pour faire passer des milliers de petits délits à la trappe» et un ex-ministre de l'Intérieur et omniprésident pompier pyromane en «super-flic».
Quatrième et dernière méthode de «tripatouillage» gouvernemental des statistiques , «faire dire à un chiffre ce qu'il ne dit pas», c'est-à-dire procéder «à de véritable détournement de sens des statistiques», procédé dont l'efficace est démultipliée, notamment, par la complaissance , professionnelle, des grands médias et, complice, de leurs donneurs d'ordre.

«La politique du bla-bla ayant succédé à celle du bling-bling»

Si cette typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale» est d'un grand intérêt dans l'ensemble et le détail, l'intérêt du Grand truquage est encore accru par la richesse et la précision des analyses. Dans chacune des sept contributions qui en constituent le contenu – «Pouvoir d'achat : le grand camouflage»; «Les chiffres de l'emploi et du chômage : petits arrangemments entre amis»; «Les heures supplémentaires : beaucoup de bruit pour rien»; «Réduire la pauvreté...en changeant d'indicateur»; «Education : silence dans les rangs»; «Immigration : controverses...dans un désert statistique»; «Comment fabriquer les bons «chiffres de la délinquance» ?» - c'est à un vétitable réquisitoire contre les contes et mécomptes du sarkozysme ordinaire et à leur démystification en règle que se livrent les auteurs du Grand truquage. Avec un souci de rigueur scientifique qui fait de cet ouvrage publié aux éditions La Découverte un vade mecum citoyen et militant de premier ordre pour tout ceux qui ont pris conscience que «la politique du bla-bla ayant succédé à celle du bling-bling», il est temps, grand temps, de briser, collectivement, l'élan réactionnaire de cette puissance politique.

Jérôme Skalski

mardi 14 juillet 2009

"CERTAINEMENT LE PLUS TERRIBLE MISSILE QUI AIT ENCORE JAMAIS ETE LANCE 0A LA TETE DES BOURGEOIS"


Dans ses Essais sur le théorie de la valeur de Marx (1924), s'appuyant sur une connaissance encyclopédique des oeuvres du fondateur du socialisme scientifique, Isaak Roubine met en évidence, dans Le Capital, la nécessaire articulation entre la théorie du fétichisme de la marchandise considérée comme la « théorie générale des rapports de production de l’économie marchande-capitaliste » et la théorie de la valeur.

Dans le deuxième chapitre de la première section du premier livre de son Capital, Marx écrit : «Au premier abord, la marchandise nous est apparue comme quelque chose à double face, valeur d'usage et valeur d'échange. Ensuite nous avons vu que tous les caractères qui distinguent le travail productif de valeurs d'usage disparaissent dès qu'il s'exprime dans la valeur proprement dite. J'ai, le premier, mis en relief – de façon critique- ce double caractère du travail représenté dans la marchandise», soulignant par cette remarque l'originalité de la théorie de la valeur qu'il développe dans son oeuvre et le point précis où celle-ci se démarque radicalement de la théorie classique, de celle qu'on appelle la théorie de la «valeur-travail». Or, par un destin singulier, la rigoureuse prise en compte de la distinction de ce «double caractère du travail présenté par la marchandise», travail «concret» d'une part et travail «abstrait» d'autre part, a souvent été négligée par les commentateurs du Capital et ceci aussi bien du côté des épigones de Marx que de celui de ses adversaires. Dans ses Essais sur le théorie de la valeur de Marx (1924) , Isaak Roubine prend le problème à bras le corps. Il l'associe explicitement à celui de la théorie du «fétichisme de la marchandise» et indique qu'il engage et implique la compréhension non seulement de la théorie du capital mais aussi de la méthode de Marx et de sa théorie générale.

Un problème pris à bras le corps


«Il existe un rapport conceptuel étroit entre la théorie économique de Marx et sa théorie sociologique, la théorie du matérialisme historique écrit Isaak Roubine dans l'Introduction de ses Essais : « Hilferding a fait remarquer, il y a des années, que la théorie du matérialisme historique et la théorie de la valeur-travail avaient le même point de départ : le travail comme élément fondamental des sociétés humaines, élément dont le développement détermine en dernière instance la totalité du développement social.» Nous rapportons la suite du texte de cette Introduction, texte clé, ci-dessous in extenso .

Une lecture exigeante et difficile

Ce long extrait la préface des Essais sur le théorie de la valeur de Marx d'Isaak Roubine donne en effet le «la» de la lecture qu'ils engagent : une lecture exigeante mais dont l'intérêt théorique et pratique s'impose au fil des pages de cet ouvrage «énorme» de densité. Loin des «modes d'emploi» de Marx plus ou moins «funny», les Essais sur le théorie de la valeur de Marx d'Isaak Roubine publiés cette année aux éditions Syllepse rappellent l'exigence réelle impliquée par l'étude de la théorie du capital : un effort tendu. «Dans toutes les sciences le commencement est ardu» ecrit, sans concession, un certain Karl Marx dans la préface de la première édition du Capital. Les lectures des Essais de Roubine et du Capital de Marx tiennent cette promesse, souvent amère, il faut l'avouer. Le jeu cependant en vaut la chandelle. Rappelant les conseils de Marx lui-même, Louis Althusser recommandait, pour lire Le Capital -«le plus terrible missile qui ait encore jamais été lancé à la face des bourgeois» selon les mots de Marx- , de «provisoirement mettre entre parenthèse toute la section I [du livre I ndlr] et commencer la lecture par la section II : « La transformation de l'argent en capital»». «On ne peut, à mon sens, ajoutait-il, commencer (et seulement commencer) de comprendre la section I, qu'après avoir lu et relu tout le livre I à partir de la section II. Ce conseil est plus qu'un conseil : c'est une recommandation que je me permets, avec tout le respect que je dois à mes lecteurs, de présenter comme une recommandation impérative.» Il concluait : «Chacun peut en faire l'expérience pratique.» Ce conseil est plus que précieux. La lecture des Essais sur le théorie de la valeur de Marx d'Isaak Roubine sera pour chacun un auxiliaire précieux dans son exploration de la première section du Capital.

Jérôme Skalski

Isaak Roubine, Essais sur le théorie de la valeur de Marx, Editions Syllepse, Paris, 2009. Prix 24 euros. www.syllepse.net

«L’activité de travail des hommes est dans un perpétuel changement, dont le rythme est tantôt plus rapide, tantôt plus lent, et elle revêt, à des époques historiques différentes, des caractères différents. Le procès de changement et de développement de l’activité de travail des hommes met en jeu des modifications de deux types : il y a tout d’abord des modifications dans les moyens de production et les méthodes techniques par lesquelles l’homme agit sur la nature, en d’autres termes il y a des modifications dans les forces productives de la société ; il y a d’autre part, en relation avec ces modifications, des changements dans toute la structure des rapports de production entre les hommes, entre les participants au procès social de production. Les formations économiques ou les types d’économie (par exemple l’économie esclavagiste antique, l’économie féodale, l’économie capitaliste) diffèrent d’après le caractère des rapports de production entre les hommes. L’économie politique théorique traite d’une formation économique et sociale déterminée : l’économie marchande-capitaliste.
L’économie capitaliste représente une union du procès matériel-technique d’une part, de ses formes sociales, c’est-à-dire de l’ensemble des rapports de production entre les hommes, d’autre part. Les activités concrètes des hommes dans le procès matériel-technique supposent des rapports de production concrets entre eux, et vice versa. Le but final de la science est la compréhension de l’économie capitaliste comme un tout, comme un système spécifique de forces productives et de rapports de production entre les hommes. Mais, pour atteindre ce but final, la science doit tout d’abord séparer, au moyen de l’abstraction, deux aspects différents de l’économie capitaliste : l’aspect technique et l’aspect socio-économique, le procès matériel-technique de production et sa forme sociale, les forces productives matérielles et les rapports sociaux de production. Chacun de ces deux aspects du procès économique est l’objet d’une science distincte. La science de la technologie sociale - encore à l’état embryonnaire - doit prendre pour objet de son analyse les forces productives de la société dans leur interaction avec les rapports de production. De son côté, l’économie politique théorique traite des rapports de production propres à l’économie capitaliste dans leur interaction avec les forces productives de la société. Chacune de ces deux sciences, ne s’occupant que d’un seul aspect du procès de production d’ensemble, présuppose l’autre aspect du procès de production sous la forme d’une prémisse implicite de sa recherche. En d’autres termes, bien que l’économie politique traite des rapports de production, elle présuppose toujours leur liaison indissoluble avec le procès matériel-technique de production et part toujours, dans sa recherche, d’un niveau concret et d’un procès de changement déterminé des forces productives matérielles.
La théorie du matérialisme historique de Marx et sa théorie économique tournent autour d’un seul et même problème : les relations entre forces productives et rapports de production. L’objet des deux sciences est le même : les changements des rapports de production dans leur dépendance à l’égard du développement des forces productives. Le procès d’ajustement des rapports de production aux modifications des forces productives - procès qui prend la forme d’un accroissement des contradictions entre les rapports de production et les forces productives, puis de cataclysmes sociaux engendrés par ces contradictions -, tel est le thème fondamental du matérialisme historique. L’application de ce cadre méthodologique général à la société marchande-capitaliste nous donne la théorie économique de Marx. Cette théorie analyse les rapports de production de la société capitaliste, le procès de leur modification tel qu’il résulte de la modification des forces productives et les contradictions croissantes qui s’expriment généralement par des crises. L’économie politique n’analyse pas l’aspect matériel-technique du procès de production capitaliste, mais sa forme sociale, c’est-à-dire l’ensemble des rapports de production qui constituent la «structure économique» du capitalisme. La technologie de la production -les forces productives- est comprise dans le domaine de recherche de la théorie économique de Marx seulement comme présupposé, comme point de départ, qui n’est pris en considération que dans la mesure où il est indispensable pour l’explication de l’objet réel de l’analyse, c’est-à-dire les rapports de production. La distinction logiquement établie par Marx entre le procès matériel-technique de production et ses formes sociales nous donne la clé de la compréhension de son système économique. Cette distinction définit dans le même temps la méthode de l’économie politique comme science sociale et historique. Dans le chaos varié et diversifié de la vie économique, qui représente une combinaison de rapports sociaux et de méthodes techniques, cette distinction oriente aussi notre attention précisément sur ces rapports sociaux entre les hommes dans le procès de production, sur ces rapports de production auxquels la technologie de la production sert de présupposé ou de base. L’économie politique n’est pas une science des rapports des choses aux choses, comme le pensaient les économistes vulgaires, ni une science des rapports des hommes aux choses, comme l’affirmait la théorie de l’utilité marginale, mais une science des rapports des hommes aux hommes dans le procès de production.
L’économie politique, qui traite des rapports de production entre les hommes dans la société marchande-capitaliste, suppose une forme sociale concrète d’économie, une formation économique concrète de la société. Nous ne pouvons comprendre correctement une seule affirmation du Capital de Marx si nous négligeons le fait que nous étudions des événements qui se déroulent dans une société spécifique. «De même que dans toute science historique ou sociale en général, il ne faut jamais oublier, à propos de la marche des catégories économiques, que le sujet, ici la société bourgeoise moderne, est donné, aussi bien dans la réalité que dans le cerveau, que les catégories expriment donc des formes d’existence, des conditions d’existence déterminées, souvent de simples aspects particuliers de cette société déterminée, de ce sujet […] . Par conséquent, dans l’ emploi de la méthode théorique [de l’économie politique] aussi, il faut que le sujet, la société, reste constamment présent à l’esprit comme donnée première» («Introduction à la critique de l’économie politique», Contribution, p. 170 et p. 166). Partant d’un présupposé sociologique concret, à savoir la structure sociale concrète d’une économie, l’économie politique doit tout d’abord nous donner les caractéristiques de cette forme sociale d’économie et des rapports de production qui lui sont propres. Marx nous donne ces caractéristiques générales dans sa «théorie du fétichisme de la marchandise», que l’on pourrait appeler, de façon plus appropriée, une théorie générale des rapports de production de l’économie marchande-capitaliste.»»

Isaak Roubine, Essais sur le théorie de la valeur de Marx, Introduction.

Publié dans Liberté 62 n°869

mercredi 8 juillet 2009

HUIS CLOS JUDICIAIRE SUR L'AVENIR DE BOSAL ANNEZIN

Au sortir du Palais de justice d'Arras, la cinquantaine de salariés de l'usine Bosal venus pour assister à l'audience du Tribunal de commerce devant statuer sur l'avenir de leur entreprise a rejoint le cortège automobile qui les avait conduit d'Annezin à la préfecture du Pas-de-Calais avec un sentiment de désarroi ou de colère rentrée.

HUIS CLOS, telle fut la formule adoptée mardi 7 juillet pour la dernière audience du Tribunal de commerce d'Arras visant à statuer sur l'avenir de l'entreprise Bosal d'Annezin près de Béthune.

Elle était sensée mettre un terme à une longue procédure qui a débuté en début d'année avec la décision prise par Karel Bos, PDG du groupe Bosal International, de déclarer l'usine d'Annezin en cessation de paiement. Le personnel de l'usine est en grève totale depuis le 15 juin. L'usine bloquée et occupée.

Huis clos


Certains étaient venus en famille pour assister aux débats. Personne, pas même la presse, hormis le représentant du personnel de l'entreprise, n'aura pu le faire. La colère rentrée, malgrè le caractère dramatique de l'enjeu, consignes de retenue avaient été données. Finalement, la réponse du tribunal a été reportée au vendredi 9 juillet. Interdite d'entrer en salle d'audience, après avoir attendu calmement plus d'une heure et demi dans la cour d'un Palais de justice cerné par les forces de police, la cinquantaine de salariés de Bosal qui s'étaient déplacée sur les lieux en délégation a rejoint le cortège automobile qui devait les ramener à Annezin avec une seule certitude, celle d'au moins 298 suppressions d'emploi sur les 435 que comptait l'équipementier automobile spécialisé dans la production de pots d'échapement. A la sortie du tribunal, le représentant du personnel de Bosal n'a fait aucune déclaration. Attitude surprenante motivée selon certains salariés présents sur les lieux par une obligation de discrétion imposée aux manifestants par les adminstrateurs. C'est seulement plus tard, dans l'usine d'Annezin, que compte rendu a pu être fait à la presse des débats et des décisions prises.

Disqualification de l'offre de reprise par Cintrax

La nouvelle était tombée lundi au cours d'un Comité d'Entreprise extraordinaire. L'offre de reprise par Cintrax, reprise portant à la fois sur une partie de l'activité industrielle et de l'activité de distribution de l'entreprise était retirée du fait du refus par la direction de lui accorder l'utilisation des licences Bosal. L'offre de reprise de Cintrax était susceptible de préserver 141 emplois sur le site. Restaient deux décisions possibles, la liquidation judiciaire pure et simple ou la reprise de l'activité commerciale par Daniel Cassier, directeur marketing de Bosal France, avec une trentaine de salariés sur place et une cinquantaine d'autres pour travailler sur divers sites un peu partout en France. Dans les deux cas de figure, la fin de la production de pots d'échappement et la perte de leur emploi pour une très grande majorité des salariés de Bosal Annezin.

Une «magouille»


«L'offre Cintrax n'a pas été retenue. Aujourd'hui, nous dénonçons la magouille qui a eu lieu entre Daniel Cassier et Karel Bos a souligné Fabrice Caron, représentant du personnel pendant l'audience et secrétaire UNSA ( majoritaire) du CE, au cours de son intervention devant les médias. La direction a fait en sorte de ne pas étayer le dossier de Cintrax. Sans que les licences Bosal lui soient accordées, Cintrax n'a pas pu finaliser son dossier et, de fait, n'a pas été suivi par les financiers. A l'heure actuelle, c'est donc l'offre de Daniel Cassier qui a le plus de chance d'être retenue. Aujourd'hui, ils ont ramené des attestations en disant qu'ils voulaient garder le service de distribution de Bosal étant donné la satisfaction des clients par rapport aux livraisons. Il faut savoir que ces attestations, ils les ont eu en les engraissant avec des cheques et tout cela pour faire connaître la marque Bosal en plein redressement judiciaire. Une attitude innaceptable. Par un prête-nom qui s'appelle Daniel Cassier, notre ancien patron peut donc sortir par la grande porte et rentrer par la petite.»

Renault et PSA en flagrant délit de mauvaise foi

Dans la mise «hors jeu» de l'offre de Cintrax, les syndicalistes de la CGT voient une manoeuvre coordonnée des constructeurs et donneurs d'ordre Renault et Peugeot ainsi que de la direction de l'équipementier Bosal. «Une déclaration des avocats de Renault et PSA pendant l'audience, déclaration selon laquelle il leur aurait fallu plus de temps pour participer à une table ronde afin de trouver une solution industrielle a été rapportée au cours de l'assemblée des salariés et nous a tous fait bondir explique, mardi soir devant l'usine, Arnaud Buret, délégué de la CGT chez Bosal. Il y a maintenant une semaine, une réunion s'est déroulée entre pouvoir publics et politiques, à Lille, avec des représentants d'Artois Com [la communauté d'agglomération de Béthune et Bruay qui s'était engagée à racheter les bâtiments de l'entreprise afin de soutenir une offre de reprise industrielle ndlr], l'Etat et de la Région. Invités à cette réunion, Renault et Peugeot n'ont pas daigné se déplacer. Nous, dans la situation où nous étions placés, nous avions une préférence pour l'offre de Cintrax, une offre qui avait l'avantage d'être un projet industriel porteur d'un projet de diversification qui aurait permis de sauvegarder 141 emploi et peut-être même, à terme, d'en créer et, en tout cas, de sauvegarder sur place du savoir faire.»

Une manoeuvre coordonnée

«La mise hors jeu d'un projet industriel chez Bosal est le fait de Renault et Peugeot» souligne avec insistance Jacques Delelis de l'Union locale CGT de Béthune. «Alors que, précise-t-il, Renault et Peugeot, selon les déclarations de Sarkozy, sont sensés recevoir des fonds publics pour préserver le tissu industriel. Comme ces fonds ne sont pas pas attribués sous conditions, en fait, ces fonds sont utilisés pour organiser des transfert d'activités vers des pays «low cost». Le cas de Bosal est exemplaire de ce point de vue et les salariés de Bosal en sont tout à fait conscients. A Annezin, cela fait des années qu'il n'y a plus d'investissements.»

Actuellement, à 150 kilomètres de Moscou, Bosal International investit et étend ses capacités de production sur un site dont l'extension laisse loin derrière elle celle du site d'Annezin. Mardi, à grand renfort de force de police – BAC, CRS, RG...- pour veiller au «calme» des salariés de Bosal Annezin considérés comme coupables de perdre leur emploi et de manquer d'enthousiasme pour saluer la «joint venture» de Bosal International, Renault et PSA vers l'est européen. Au plus grand profit du capitalisme «refondé» à droite et plus si affinités. Avec la bénédiction du gouvernement Fillon-Sarkozy donc... Pas besoin de faire un dessin. Pas besoin de grill.

Jérôme Skalski

samedi 4 juillet 2009

LES SEPT PECHES D'HUGO CHAVEZ

Conférence de Michel Collon à propos de son ouvrage, Les sept péchés d'Hugo Chavez - Conférence des Amis du monde Diplomatique, Montpellier, le 15 mai 2009 :

http://www.dailymotion.com/video/x9ee42_michel-collon-les-7-peches-de-chave_news


Au sujet du livre de Michel Collon :

http://venezuelatina.com/2009/05/09/les-7-peches-d-hugo-chavez/

CHAVEZ, LEADER DE LA CONTESTATION MONDIALE

Dans l'émission de France 3 "Ce soir ou jamais" du 16 novembre 2008, Michel Collon, à propos de Chavez.