dimanche 8 mars 2009

RADIO QUINQUIN - ECOUTEZ-VOUS VIVRE ET LUTTER !

Liberté 62 n°783 - Le 16 Novembre 2007 – 2et 3-Evénement



RADIO QUINQUIN - ECOUTEZ-VOUS VIVRE ET LUTTER !


Par Jérôme Skalski

Organisé à Auby les 9 et 10 novembre, le colloque consacré à Radio Quinquin par l'Institut Régionald'Histoire Sociale (IHRS) de la CGT du Nord/Pas-de-Calais a été l'occasion d'évoquer, au-delà de l'histoire de la célèbre radio populaire, les enjeux attachés à l'information sociale aujourd'hui.

«JE vais vous parler d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître» a déclaré Daniel Pollet en introduisant le débat de l'IRHS consacré au «vécu de Radio Quinquin».

Ecoutez-vous vivre et lutter

Radio quinquin, est née officiellement le 7 novembre 1979 à 5h30 du matin à l'initiative des membres des Unions départementales CGT du Nord et duPas-de-Calais avec pour slogan : «Ecoutez-vous vivre et lutteravec la CGT» afin - et ce projet est plus que jamais d'actualité -, selon les mots d'Aldebert Valette, ancien maire d'Auby, d' «apporter une réponse au gavage quotidien des professionnels de l'information, pouvoir faire entendre l'écho des salariés des usines, des gens dans les quartiers » et «ne plus taire les difficultés imposées par les puissances de l'argent, mais au contraire les révéler, et laisser crier sa colère».

Faire entendre l'écho des salariés des usines, des gens dans les quartiers


Dans les faits, les premières émissions ,de radio Quinquin eurent lieu dès le mois de mars 1979. A l'époque, Daniel Pollet, secrétaire de l'union départementale CGT du ,Nord cherche à lancer un moyen d'information autre que les moyens traditionnels pour accompagner un mouvement social contre de nombreux licenciements annoncés dans le secteur de la sidérurgie à Denain. En collaboration ,avec Radio Campus , Radio Quinquin commence ,d'émettre le 20 mars depuis l'appartement d'un syndicaliste d'Usinor à Denain.
«Notre but était d'informer les gens d'Usinor et du secteur de Denain, le secteur le plus touché. On voulait avoir les mêmes moyens que les autres médias, ceux qui avaient le monopole de l'information et qui, pour nous, ne disaient pas la vérité» selon Daniel Pollet. Le succès est immédiat.

Un engouement du tonnerre

«C'était un engouement du tonnerre », se souvient Daniel Pollet. Radio Quinquin , illégale jusqu'en 1983, occupera le 90,0 Mhz durant toute son existence et durant toute son existence cherchera à faire entendre la «voix du peuple».


LE CONTEXTE DE LA CRÉATION DE RADIO QUINQUIN


Dans son intervention, Julien Guérin est revenu sur le contexte de la création de Radio Quinquin. (Extraits).

“LA création de Radio Quinquin en mars 1979 est indissociable de la situation économique, sociale et politique de l’époque. Nous étions sous la présidence de Giscard d’Estaing élu depuis 1974 avec aux manettes du gouvernement le premier ministre Raymond Barre en poste depuis Août 1976. Nous avions affaire à des personnages imbus de leur pouvoir et de leur savoir qui prétendaient ne pas se laisser gouverner par des braillards de manifestants. Aux commandes du CNPF, le MEDEF de l’époque, François CEYRAC, ex chef de l’UIMM, cette fameuse union patronale de la métallurgie dont les pratiques antisociales et répressives de l’époque s’éclairent aujourd’hui de pratiques antigrèves à coup de centaines de millions d’euros détournés des entreprises. Barre c’était le plan de rigueur instauré au prétexte du choc pétrolier de 1973. Mais cette époque était aussi marquée par la gestation de l’Europe.
Commencée par la mise en place de la CECA (communauté européenne du charbon et de l’acier) en 1951 pour une durée de 50 années, cette Europe déjà, ninstituait la libre concurrence de ces nproduits pour en abaisser leur prix, concurrence qui ne devait pas être faussée par des aides nationales devenues interdites. Le fameux plan DAVIGNON mis en place fin 1977 a alors pour but “de remédier à la surproduction de l’acier et à la spirale de la baisse des prix”. Il s’assigne comme but de réduire les capacités de productions d’acier en Europe.
C’est dans ce paysage politique et économique que les retombées sociales sont catastrophiques pour une région industrialisée comme le Nord/Pas-de- Calais. La Lorraine, avec les mêmes bases économiques subira elle aussi les mêmes difficultés. Au régime d’austérité qui bloque les salaires, vient désormais se greffer une véritable casse de nos piliers industriels avec des retombées dans tous les secteurs d’activités. Les unes après les autres les usines ferment et les emplois sont supprimés de façon massive. Les grandes industries occupant un nombre massif de salariés, notamment des ouvriers et des ouvrières, sont démantelées brutalement : le textile, les mines de charbon et la sidérurgie. Dans la foulée ce seront les chantiers navals, la métallurgie fine de la Sambre- Avesnois, la dentelle du Cambrésis, la céramique, la chimie… Aucune activité, aucun bassin d’emplois de la région n’est épargné.
Il va sans dire que cette politique de casse ne se produit pas sans réaction, sans expression et initiatives syndicales. La CGT est au premier rang pour démontrer la possibilité et la nécessité de faire autrement. Elle multiplie les propositions économiques, les dossiers, les audiences. Rien n’y fait. Les syndicats d’entreprises avec les salariés mènent de multiples actions. Mais au bout du compte le rouleau compresseur avance. Nous en sommes déjà, au bout de cinq années de crise à 150000 chômeurs ! Une vraie catastrophe ! L’annonce de la fermeture d’Usinor Denain provoque une immense colère ; Il va entraîner la suppression de 6000 emplois directs, 30000 au total avec les activités annexes ! Dans ce contexte, la CGT organise un grand rallye régional le 7 octobre 1978 pour vivre et travailler au pays, en s’appuyant sur un mot d’ordre particulièrement fort : «Halte au gâchis humain et économique, agissez pour une région prospère» lancé par le comité régional. Le 10 octobre, une délégation de 200 personnes porte 100.000 pétitions à l’Assemblée nationale. Le 22décembre une journée régionale d’action rassemble 35.000 manifestants.Le 16 février 1979, une nouvelle journée d’action pour sauver nos industries met en action 800.000 grévistes et 200.000 manifestants.
Plus tard, le 9 mars, un meeting tenu à l’intérieur de l’usine Usinor Denain avec notre camarade Georges SEGUY voit la participation de 6.000 personnes ! Il fait suite à une journée d’émeute, de provocations des CRS notamment, à Denain où de nombreuses personnes ont été blessées, et ce dans le but d’isoler les sidérurgistes. Enfin, si je puis dire, le 10 mars une manifestation à Denain même réunit plusieurs milliers de salariés et leur famille.
Tout cela illustre surtout le fait que les salariés étaient particulièrement mobilisés, que toute la population se sentait concernée. Cependant devant la surdité du Pouvoir politique et du patronat, une action de grande ampleur, marquant et alertant toute l’opinion publique du Pays était devenue nécessaire. C’est pourquoi la CGT décide d’organiser pour le 23 mars une grande «marche sur Paris» avec les sidérurgistes et tous ceux qui voulaient sauver la sidérurgie. C’est autour de la nécessité de populariser l’ensemble de l’action des salariés pour sauver la sidérurgie en France et tous les emplois associés, pour appeler à participer à cette manifestation et devant la difficulté de s’appuyer sur des moyens d’informations libres, équitables,au niveau des radios et télés, dans une moindre mesure la presse écrite que nous décidons de créer une radio de lutte CGT (...) C’est au cours d’un CE de l’UD du Nord tenue à la MAJT de LILLE (la maison d’accueil des jeunes travailleurs) en janvier 1979 que Daniel Pollet et moi mêmequi étions alors secrétaires de l’UD avons rencontré Pierre Béhague de la CGT de l’Université de Lille 1, animateur de la seule radio libre de l’époque (et qui tourne toujours) Radio Campus, et Bernard Houzet, secrétaire du syndicat CGT de Lille 1. Nous leur avons fait part de notre souhait de créer une radio CGT.
Ils ont proposé de nous prêter un émetteur Petites ondes et de nous aider à la faire fonctionner. La proposition est alors faîte à la CE de l’UD du Nord qui donne son accord. Par la suite contact est pris avec des militants d’Usinor Denain et l’émetteur est installé dans un appartement de militants de la CGT de Denain et commence ses diffusions. L’antenne était un grand fil tendu à l’horizontale sur le toit de l’immeuble.
Une cassette enregistrée dans les studios de radio Campus est diffusée en boucle pour appeler à cette marche des sidérurgistes pour le 23 mars 1979. Et ce fut le tout début d’un travail d’interviews de syndicalistes qui a beaucoup compté par la suite dans la reconnaissance de cette radio comme un outil de lutte, utile et soucieux d’être la voix des travailleurs et de leurs familles. Cette première émission a duré trois jours, les 19, 20 et 21 mars. Après la manifestation parisienne du 23 mars qui a connu un énorme succès avec 25.000 participants de la région montés dans 2 trains spéciaux, 200 bus et des centaines de voitures, mais aussi qui a vu de sombres provocations avec des nervis s’attaquant aux manifestants dans les rues de Paris comme seule réponse du Pouvoir, nous décidons de rendre compte et de dire la vérité avec notre radio.”

LE VÉCU DE RADIO QUINQUIN

REMERCIANT "la mairie d'Auby avec ses élus, Monsieur Kaczmareck et Monsieur Briez, Monsieur Latreche, les services généraux de la mairie, Jean-Paul Marlaire pour toute la technique et la mise en place, le Syndicat CGT de la mairie d'Auby sur la documentation, André Jacqueloot qui a créé le site Internet. Mais aussi Jean-Marie Czapraga pour le film et le diaporama" ainsi que «tous ceux qui ont travaillé à la réussite matérielle donc politique» du colloque del'IHRS de la CGT du Nord/Pas-de-Calais sur Radio Quinquin, Daniel Pollet a voulu placer cette initaitive dans la perspective des luttes actuelles. Extraits.

“Je vais vous parler d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Si je dis cette phrase, ce n'est pas pour plagier Charles Aznavour mais tout simplement pour vous dire que l'histoire, le devoir de mémoire existe et en ce qui concerne notre histoire si nous ne la racontons pas, qui va le faire à notre place ? Comment les générations d'aujourd'hui pourraient connaître tous les acquis de 36, 68, acquis dont ils profitent encore aujourd'hui. Va-t-on laisser les autres en parler ? Ne doit-on pas connaître l'histoire pour se projeter dans l'avenir ? Quand on veut savoir ce qui se passe chez soi, on ne va pas le demander au voisin. Et pourtantaujourd'hui, comme hier, notre famille dans le sens large du terme est en pâture aux idées des autres. Aujourd'hui comme hier, la sémantique, la philosophie, les petites phrases, l'argumentation pointue ne remplaceront pas les luttes. Le patronat et le gouvernement essayent d'étouffer les organisations syndicalesen multipliant les réunions "sur le dit dialogue social". Le doute s'installe entre la politique de la chaise vide et la nécessité d'y être pour éviter le pire ou a méliorer le pas bon. Je pense qu'aujourd'hui sur les grands dossiers, la négociation est un voile surdes décisions déjà prises et parfois en cachette avec d'autres.
Les salariés, les sans emplois, les retraités, les jeunes, les femmes etc.. ont tous un point commun, la faculté de réfléchir mais c'est en fonction de ce qu'ils auront dans la tête qu'ils bougeront ou pas. Et ça c'est notre rôle à tous et à chacun. Comment faire et avec qui, comment utiliser les moyens au mieux dont nous disposons ? Comment faire passer le message, la force de conviction que l'on a de cette société injuste ? Comment faire partager l’idée qu'il est possible de faire autrement avec moins de riches et moins de pauvres. Je crois qu'on peut dire, en tous cas moi je le dis, que nous sommes dans une situation médiatique pire qu'en 1979. A l'époque, il n'y avait que quelques chaînes de télé et de radios et la presse écrite. Aujourd'hui, et l'on peut être fier de ce que nous avons fait à l'époque de l'interdit face au monopole de diffusion, aujourd'hui je crois que nombre de personnes ne pourraient pas zapper tous les 200 hertz pour avoir une station de radio. Comme les droits et protections sociales, comme les congés payés, les statuts, les conventions collectives, le droit d'association, à la retraite, etc…rien n'a été le fruit du hasard ou de la compassion, tout a été le fruit des luttes et des mouvements sociaux. On n'a jamais rien pour rien et notre combat pour une information plus juste, plus honnête, pluraliste était juste.
L'utilisation qui en est faite depuis et la multiplication des moyens d'information à contrario et à mon sens n'ont pas fait avancer grand-chose au niveau de l'information sociale, on pourrait même dire que beaucoup d'entre eux sont devenus des moyens de propagande politique. Rappelons à cet égard, pour ceux qui douteraient du poids du pouvoir et du patronat sur les médias et le service public que c'est seulement en juillet 1986 que le pluralisme de l'information est inscrit dans le droit conditionnel. Comme pour beaucoup de droits acquis, nous avons su faire sauter des verrous, des bâillons, il n'y a qu'à voir aujourd'hui le nombre de stations sur la bande FM. La répression féroce de l'époque du gouvernement Giscard- Barre et du patronat qui ont utilisé tous les moyens pour nous faire taire suffit à faire comprendre l'importance de ce que nous avons fait. Radio Quinquin restera comme le témoignage vivant d’une page de l’Histoire Ouvrière de la région Nord/Pas-de- Calais. Elle restera le symbole de la résistance à la politique des forces conservatrices au service du grand capital mais aussi et surtout au servicedes intérêts du monde du travail.”

☛À lire : André Wiart, Radio Quinquin, prise de liberté dans l'information, Préface de George Seguy, 1994. Contacter l'IRHS CGT du Nord/Pas-de-Calais : Bourse du Travail rue Geoffroy St Hilaire 59000 LILLE; irhsnpc@wanadoo.fr
☛ À voir : une exposition en ligne sur Radio Quinquin sur le site de l'UD CGT du Nord : http://radioquinquin.free.fr

http://www.liberte62.com/article-14093287.html

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