vendredi 9 octobre 2009

HOPITAL DE BAPAUME LA CGT REFUSE LA SAIGNEE

L'hôpital de Bapaume est sur la sellette. Dans une lettre adressée mi-septembre à tous les habitants de la ville, Jean-Paul Delevoye, maire de Bapaume et président du conseil d'administration de l'établissement, se dit «malhereux et furieux» du déficit financier de 1,5 millions d'euros du Centre Hospitalier de Bapaume (CHB) mis en exergue par l'audit financier qu'il avait commandé auprès de l'Agence Régionale Hospitalière (ARH) au début de l'été. « Nous sommes déterminés à redresser rapidement la situation et à offrir à l'hôpital de Bapaume un avenir solide» : à mots couverts, une déclaration ressentie comme une sérieuse menace sur l'«avenir» de l'établissement public par les habitants de Bapaume et de sa région. Liberté 62 fait le point sur l'affaire avec Michel Carré, secrétaire général de la CGT du Centre Hospitalier de Bapaume .

Liberté 62 : «Dans sa lettre aux Bapalmois, Jean-Paul Delevoye se dit «malhereux et furieux» suite au déficit constaté de 1,5 millions d'euros par l'audit qu'il a commandé à son «arrivée au conseil d'administration, en juin 2009». Qu'en pensez-vous ?»

Michel Carré : «Les choses sont clairement indiquées, noir sur blanc, dans les procès-verbaux des CTE (Comité Technique d'Etablissement où siègent les représentants des personnels hospitaliers ndlr) et des CA (Conseil d'Adminstration) . Dans le procès verbal de la réunion du 15 juin 2006, il est affiché un déficit comptable de 144 805 euros au budget général. Le procès-verbal rapporte aussi que la CGT impute ce fait à la mise en place de la T2A (Tarification à l’Activité, mode de financement des établissements de santé fondé sur une logique de «résultats» - La T2A est issue de la réforme hospitalière du plan Hôpital 2007 et se trouve finalisée par la loi Bachelot sur l'hôpital ndlr) avec une montée en charge de 25 % en 2005, de 30 % en 2006 pour passer à 50 % en 2007 et 100 % en 2008. À l'époque Monsieur Makowiak, directeur en titre de l'établissement, répond que Bapaume se trouve en bonne position par rapport à d'autres hopitaux pour mettre en application la T2A. Il demande en outre de développer les consultations externes, ce qui aujourd'hui complètement «tabou». Aujourd'hui, après quelques années d'absence et de retour à la tête du CHB, il nous dit le contraire et que les consultations externes sont déficitaires. En décembre 2006, la projection d'un déficit de 134 000 euros est établie en CTE sur la base d'une nouvelle augmentation de la part de T2A dans la dotation de l'hôpital. Dans le compte rendu du CA qui fait suite à ce CTE, Monsieur Deroubaix, alors directeur de l'ARH, constate le dysfonctionnement de l'hôpital en matière de financement et reconnaît que la T2A n'est pas adapté à un établissement de la taille de l'hôpital de Bapaume. Il déclare envisager un retour à la dotation globale (mode de financement des établissements de santé fondé sur une logique des «besoins» ndlr) en declarant l'hôpital sous le statut d'hôpital local ce qui l'exonérerait de la T2A. En 2007, la T2A atteint 50 % du budget de l'hôpital et il est prévu que l'activité connaîtra une augmentation de 8 % dans l'année. Dans le même temps l'ARH baisse ses tarifs de 3,7 %. Cela veut dire que nous devons monter en activité et que de l'autre côté nos recettes diminuent. Nouvelles pertes pour l'établissement : entre 300 et 400 000 € qui s'ajoutent aux pertes et déficits antérieurs. Toujours en CTE, la CGT monte au créneau et insiste sur le fait que le besoin du retour à la dotation globale se fait de plus en plus sentir. En 2008, pour l'exercice 2007, l'analyse montre que le service de médecine dégage une marge bénéficiaire d'environ 40 % et que ce qui nous «coûte», quand on considère la globalité du fonctionnement de l'hôpital , ce sont la radio, les consultations externes, les manipulateurs, les secrétaires médicaux et les médecins spécialistes. Le secteur psychiatrique dégage un déficit de 470 000 €. À ce moment-là, en 2007, nous nous rendons compte que ce n'est pas seulement la T2A qui grève le budget de l'hôpital. En 2004 et 2005, deux nouveaux services ont été ouvert : un service de soins de suite et de rééducation et un service spécialisé en psychiatrie. En fait, dès cette époque le service de psychiatrie s'avère sous-doté, chose qui est reconnue officiellement, après étude, en 2008. Preuve de ce fait, l'ARH décide d'attribuer une dotation pérenne de 300 000 € en octobre 2008 pour ce service. Or, nous, à la CGT, nous disons que c'est au moins cinq fois 300 000 € qu'on aurait dû nous donner pour rétablir nos comptes du fait de cette erreur reconnue, sur le tard, par l'ARH. Le compte n'y est pas avec 300 000 € pour le fonctionnement du service de psychiatrie depuis sa création. Avec cinq fois 300 000 €, le compte tombe plus juste : 1,5 millions d'euros, le montant du déficit annuel actuel. Lors du dernier CA, a été reconnu une deuxieme sous-dotation pour le service de soin de suite et de rééducation et une enveloppe pérenne de 500 000 euros a été débloqué pour ce service. Mis en place en 2005, le service de soin de suite et de rééducation est donc sous-doté depuis sa création soit quatre fois 500 000 euros soit 3,5 millions d'euros.»

Liberté 62 : «D'après ce que vous affirmez sur la base des rapports officiels des CTE et des CA de l'hôpital, les difficultés financières de l'établissement étaient connues de longue date. Est-ce à dire que la «surprise» actuelle de Jean-Paul Delevoye a quelque chose de feint ?»


Michel Carré : « Certainement. Au point de vue de mon analyse personnelle, je pense que les responsables de l'établissement étaient plus ou moins au courant de la situation de l'établissement depuis 2006. En fait, on nous a laissé ouvrir la brèche. C'est stratégique. On laisse filler les déficits, on commande un audit et puis l'affaire est pliée : redressement sur le dos des personnels et des services. Le déficit actuel de l'hôpital vient du fait qu'on ne nous a pas donné les moyens suffisants pour fonctionner et non pas de dépenses excessives ou anormales par rapport à notre activité, activité qui correspond à un réel besoin des populations de la région de Bapaume.»

Liberté 62 : «Dans sa lettre, Jean-Paul Delevoye a l'air de vouloir remettre les compteurs à zéro et parle d' «offrir à l'hôpital de Bapaume un avenir solide». Voyez-vous quelque chose de menaçant pour l'avenir de l'établissement public dans le ton quelque peu martial du président de son conseil d'administration ?


Michel Carré : «Oui, la lettre de Jean-Paul Delevoye est menaçante. Si vous la lisez bien, il y est écrit qu'il s'agit «en début d'année 2010, de présenter un projet médical correspondant aux besoins de la population.» C'est une belle phrase et un projet auquel nous ne pouvons que souscrire. Mais Jean-Paul Delevoye ajoute : «s'articulant avec les autres hôpitaux de la région.» Nous savons ce que cela veut dire : réduire l'activité de l'hôpital de Bapaume. En fait, le gouvernement ne veut plus d'hôpitaux de proximité. La médecine ce serait donc pour les grands centres et avec le «petit hôpital» on fait une grande maison de retraite. Monsieur Mackowiak revient en sauveur et on nous dit que personne ne veut faire le constat du passé. Or, pour nous il est essentiel d'aller chercher les causes de la situation actuelle. Les causes, il les connaissent très bien. Jean-Paul Delevoye sait très bien que le déficit actuel est lié à un manque chronique de dotation. Ils prétendent en rester à la constatation du déficit et puis déclarent qu'ils vont régler le déficit. Comment fait-on pour régler le déficit ? C'est clair à leur point de vue : en transformant certaines activités du centre hospitalier de Bapaume en d'autres activités. Nous savons que notre médecine est, à elle seule, excédentaire. Eh bien, on transférera l'activité de médecine au Centre Hospitalier d'Arras ou de Douai ! Je pense que tout est déjà calculé mais on ne nous annonce rien. Dans leur démarche, ils veulent précipiter les choses. Il y a un conseil d'administration le 22 octobre prochain. Quelle nouvelle et mauvaise «surprise» nous réserve-t-on ? Dans cette affaire, l'ancien directeur (celui qui a succédé à Edmond Mackowiack et qui l'a précédé à la tête du CHB ndlr) fait largement office de bouc émissaire.»

Liberté 62 : « Mais Jean-Paul Delevoye écrit pourtant dans sa lettre qu'il veut un centre hospitalier qui corresponde «aux besoins de la population» de Bapaume et ajoute vouloir «offrir à chacun le meilleurs parcours de consultation et de soins».
Michel Carré : «En fait, nous nous attendons tout d'abord à l'externalisation de notre cuisine et de notre lingerie vers Douai pour en rentabiliser un pôle logistique qui a coûté très cher. Ensuite, à ce que soient supprimés les postes de garde des médecins c'est-à-dire à rendre impossible le maintien de notre service d'accueil non programmé (accueil d'urgence informel ndlr). A moyen terme, c'est l'hémoragie, la saignée. Sans le service d'accueil non programmé, d'un côté, cela va rengorger les urgences d'Arras et, d'autre part, cela va conduire les médecins, écoeurés, à la porte et le service médical avec. Les populations aujourd'hui sont inquiètes. Ils présentent le «mauvais coup». Beaucoup de gens par dans notre région rurale n'ont pas de voiture et sont âgés. Comment vont-ils faire ? Nous, nous ne laisserons pas faire. Dans leur démarche, ceux qui préparent un si sombre «avenir» pour l'hôpital de Bapaume cherchent à diviser : diviser les syndicats et divisers les personnels. Ils cherchent aussi à jeter le trouble dans la tête des habitants de Bapaume. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent aller vite. Nous, nous ne voulons pas opposer les intérêts des uns et des autres. C'est dans l'unité que nous devons faire face. Une association s'est créé pour sauver l'hôpital de Bapaume. Nous en faisons partie intégrante. Un tract CGT sera bientôt distribué dans toute la ville pour informer et mobiliser la population.»

Propos recueillis par Jérôme Skalski

Publié dans Liberté 62 n°881

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