vendredi 22 janvier 2010

"UNE SIMPLE REGULATION...CELA N'EST PAS CE QUE VEUT LE MONDE PAYSAN"

Présent aux côtés des syndicalistes convoqués au TGI de Douai ce mardi 12 janvier, François Théry, porte parole de la Confédération paysanne du Pas-de-Calais, s'entretient avec Liberté 62 sur les combats portés par son organisation.

Liberté 62 : «La durée et la répétition des poursuites judiciaires engagées contre la Confédération paysanne suite à son action syndicale à Cuincy en décembre 2004 semble, pour beaucoup de personnes, relever de l'acharnement. Qu'en pensez-vous ?»

François Théry
: «La volonté du pouvoir dans cette affaire, c'est de casser la contestation et de maîtriser l'opinion publique. Et le meilleur moyen pour casser des luttes syndicales c'est, quand même, d'intimider les syndicalistes, de mettre la pression sur eux et de leur faire peur pour qu'ils ne bougent plus. A cette fin, le pouvoir utilise la justice mais je ne suis pas sûr que les magistrats aprécient de traiter ce genre d'affaires à répétition parce qu'ils ont autre chose à faire. La preuve c'est que des relaxes et des amendes très faibles sont requises par eux. Par contre, l'effet sur l'action syndicale, à mon avis, est bien ce qui est recherché et risque de s'avérer efficace. Quand on voit des syndicalistes au tribunal, cela n'incite pas à les paysans à se mobiliser et à lutter aux côtés des syndicalistes.»

Liberté 62 : «Pourtant le monde agricole se mobilise. Peut-on vraiment l'intimider ?»


François Théry
: «Les paysans, aujourd'hui, se mobilisent en France. On le voit à travers la crise du lait en particulier. Ils se mobilisent même de façon quelquefois brutale et soudaine parce qu'ils sont face à une impasse, celle de la politique agricole telle qu'elle est conduite et qui les mène à des situations catastrophiques. Quand il n'y a plus de revenus du travail, quand il y a la faillite, effectivement, les paysans vont dans la rue et n'ont plus peur. Mais, je ne suis pas certain que les plus bruyantes de ces mobilisations soient porteuses de choses très positives. Pour moi, la seule mobilisation qui puisse permettre de construire un avenir pour les paysans, c'est une mobilisation syndicale qui s'appuie sur des revendications solides, sur une réflexion politique, sur des choses construites. Et nous, c'est ce que nous proposons quand nous proposons la régulation des marchés et la répartition des droits à produire. Tout cela se construit et se revendique. Pas seulement quand tout va mal.»

Liberté 62 : «Le terme de «régulation» revient souvent dans les discours du syndicalisme agricole actuel et ceci, de tout bord. Est-ce un effet de mode lié à la montée de la crise actuelle ? «Régulation», qu'est-ce que cela veut dire ?»

François Théry : «L'idée de régulation est à la mode parce que, depuis un an et demi, on voit les dégâts de l'abandon de la régulation des marchés et notamment sur le lait. On s'aperçoit bien que l'excès de production entraîne tout le monde dans la faillite. Effectivement, aujourd'hui plus qu'hier, on parle de «régulation». Nous, ce que nous disons c'est que la régulation, cela ne suffit pas. D'abord parce que cette régulation peut être construite de différentes façons. On peut simplement proposer de nouveaux contrats entre les industriels et les agriculteurs mais on voit bien que ce sont les gros producteurs et les industriels qui tireront leur épingle de ce jeu. Une simple régulation, si c'est pour conforter la concentration de la production dans quelques mains, cela n'est pas ce que veut le monde paysan. Nous, à la Confédération paysanne, ce que nous proposons depuis longtemps c'est, à la fois une maîtrise publique des marchés et une répartition des droits à produire. Nous pensons que la maîtrise des marchés ne peut exister que si on a une volonté de répartir c'est-à-dire si on a pour objectif social de maintenir un maximum de producteurs. Sinon, je ne vois pas pourquoi la société accepterait de soutenir des marchés, parce que cela a un coût, pour satisfaire quelques agri-manager et puis laisser à la rue la majorité des producteurs. Aujourd'hui, il n'y a plus seulement que les «petits» qui sont en faillite. Même les plus productivistes sont au pied du mur. Si on ne marche que sur la compétition dans un système ultralibéral, il n'y a pas grand monde qui pourra s'en sortir.»

Liberté 62 : «Le système «ultralibéral» est en crise actuellement dans le monde agricole comme dans les autres domaines de l'économie. Y a-t-il selon vous une alternative à ce système pour ce qui est du monde agricole ?»

François Théry : «Pour nous, l'alternative c'est l'agriculture paysanne. Or, pour pouvoir développer une agriculture paysanne, il faut travailler sur la question de la souveraineté alimentaire c'est-à-dire sur le droit des peuples à définir leur politique alimentaire et donc à se protéger. La souveraineté alimentaire, pour nous, donc, est un thème essentiel. C'est à la fois une question internationale et en même temps une question locale. On ne peut envisager la souveraineté alimentaire c'est-à-dire le droit à se protéger et à définir notre politique que si l'on adopte une politique respectueuse vis-à-vis des autres pays. Pour nous, c'est cela l'alternative : le droit des peuples à protéger leur agriculture et à définir le système d'alimentation qui leur convient le mieux. A partir de là, si on admet cela, on peut avoir une politique qui, à la fois, protège les producteurs et qui garantisse un revenu de leur travail à un maximum de producteurs sur les territoires. Aujourd'hui, on est plutôt dans une politique qui garantit un maximum de revenus aux capitaux et, en même temps, cela n'est pas forcément couplé à une politique qui soit exigeante d'un point de vue environnemental. Les deux vont de pair. La société peut accepter de rémunérer le travail paysan si ce travail contribue à une alimentation saine de qualité et qui préserve l'environnement pour l'avenir. Au niveau international mais aussi à l'échelle d'une ferme, on a tout intérêt à aller dans ce sens-là. En fait, les pratiques qui préservent l'environnement, ce sont les pratiques les plus productives sur le long terme et si on raisonne globalement. Les pratiques productivistes actuelles qui produisent pour produire, sans s'occuper de l'environnement, ce sont des pratiques qui n'ont pas d'avenir : elles engendrent un coût pour la société qui est énorme : elles polluent, elles détruisent les sols. Comment demain pourra-t-on encore produire ? Actuellement, il y a des millions d'hectares dans le monde qui disparaissent chaque année à cause de l'intensification et des pratiques productivistes.»

Liberté 62 : «Productivisme et productivité ne sont-ils pas synonymes ? Ne faut-il pas produire plus pour faire face aux enjeux du développement actuel ?»

François Théry : «A la Confédération paysanne nous sommes pour une agriculture qui soit intensive sur le travail : plus sur le travail et moins sur les capitaux. Une agriculture paysanne, c'est une agriculture qui va encourager le travail et qui va arrêter de soutenir la capitalisation. C'est tout le contraire de ce qu'on fait aujourd'hui. En France, il ne s'agit pas de produire plus pour nourrir le monde mais de produire mieux. Si certains pays doivent produire plus, ce sont les pays en voie de développement et eux aussi, d'une manière non productiviste. Il faut faire le constat que les paysans, en France, se sont laissés complètement embrigadés par les grandes firmes et même des grandes coopératives qui sont censées être aux mains des paysans. Le seul moyen de s'en sortir c'est, pour les paysans, de prendre conscience de cela et de revenir à des pratiques plus autonomes à la fois dans la tête et dans les bras. L'autre moyen de s'en sortir, qui paraît plus réaliste, c'est de compter sur la société, sur les citoyens et les consommateurs qui, a un moment donné, en ont marre de payer pour une alimentation qui n'est pas correcte, qui en auront assez de payer pour des pollutions et des faillites. C'est tout ce que le système engendre.»

Propos recueillis par Jérôme Skalski


Pour avoir participé à une action syndicale à Cuincy, dans le Nord, en décembre 2004, six membres de la Confédération paysanne du Nord-Pas-de-Calais avaient été condamnés, en mai 2008, à 800 euros d'amende pour «vol en réunion» - trois amendes fermes et trois avec sursis. Ce mardi 12 janvier, deux d'entre eux, Bernard Coquelle et Antoine Jean, étaient convoqué par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Douai pour avoir refusé de se soumettre à leur fichage génétique suite à cette condamnation. En décembre dernier, Bernard Coquelle, été condamné à 1€ d’amende en première instance, peine contestée par le procureur de la République. Après audience ce mardi, sa peine a été confirmée par le TGI de Douai. Antoine Jean, pour sa part, comparaissait en première instance. Il a été requis 1€ ferme à son encontre. Non loin du tribunal de Douai, une vingtaine de citoyens, de militants associatifs, syndicaux et politiques s'étaient rassemblés pour manifester leur soutien aux membres de la Confédération paysanne poursuivis et pour dénoncer l'acharnement du pouvoir judiciaire à leur égard.

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