Comment l'Etat Sarkozy manipule les statistiques
Dans Le grand truquage, comment le gouvernement manipule les statistiques publié cette année aux édition La Découverte, un collectif d'une dizaine de statisticiens professionnels exprime son «indignation» et dénonce, par la force de l'analyse, l’objectif de l'actuel président de la République de contrôler au plus près l’information économique et sociale.
Nous ne trouverons pas Lorraine Data, l'auteur du Grand truquage, comment le gouvernement manipule les statistiques, dans l'annuaire. Et pour cause. Elle ne fait que prêter son nom à un collectif d'une dizaine de statisticiens, la plupart de «service public», qui, pour des raisons de prudence, ont préféré, malgré le clin d'oeil – «Lorraine» pour «Metz» où le gouvernement Fillon-Sarkozy entend délocaliser l'INSEE; «Data» pour les «données» qu'il cherche à «bricoler» -, garder l'anonymat. En publiant cette brillante et accablante analyse, leur intention est explicite. Il s'agit pour eux d'alerter l'opinion sur «les dérives de plus en plus inquiétantes qu'[ils] constatent dans la production et l'usage des statistiques» de la part du gouvernement actuel et «faire part de [leur] indignation face à ces dérives.»
Alerter l'opinion sur les dérives de plus en plus inquiétantes dans la production et l'usage des statistiques
Le tableau de ces «dérives» et «manipulations» mis en rapport, terme à terme, avec les thématiques de la «communication» gouvernementale est édifiant et saisissant. Associé au processus de tentative de mise au pas des satistiques publiques, il témoigne «avec la mise sous contrôle de la justice, l'asservissement de l'audiovisuel public, la mise en cause du droit d'amendement du Parlement, l'omniprésence médiatique [de Nicolas Sarkozy] et l'existence d'un véritable système de cour» de l'émergence d'un régime de gouvernement en contradiction de plus en plus flagrante avec les valeurs républicaines et démocratiques de notre régime politique. Mais le propos de Lorraine Data n'est pas seulement de l'ordre de la dénonciation. Il bat le rappel d'une résistance qui s'organise en faveur de «l'esprit du service public» et à laquelle s'associent ceux qui, de plus en plus, se sentent, en France, en étrange pays.
Une véritable typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale»
Dans l'Introduction de leur ouvrage, les auteurs du Grand truquage décrivent une véritable typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale». La première d'entre elle, la «plus prisée», consiste à «ne retenir que ce qui arrange» c'est-à-dire «à selectionner parmi différents indicateurs possible celui qui évoluera dans le sens souhaité et à ne plus communiquer que sur lui». Ce procédé, «le plus facile à mettre en oeuvre» aussi, est examiné dans le détail dans le chapitre consacré à l'analyse des «chiffres de la pauvreté» qui fourni «l'un des meilleur exemple de ce type de manipulation.» Mais ajoutent-ils «comme l'ont montré les pratiques autour du contrat nouvelle embauche (CNE), le gouvernement peut également jouer sur les différences qui peuvent apparaître lorsque plusieurs sources sont à l'origine d'un même indicateur, en retardant la publication des données qui lui sont moins favorables, voire en les censurant.»
Ecran de fumée et thermomètre faussé
Autre méthode, «utiliser un indicateur écran» «Alors que la question des inégalités est au coeur du débat politique explique Lorraine Data, un second type de manipulation «consiste en l'utilisation privilégiée de statisatiques qui masquent l'évolution réelle de ces phénomènes». Exemple type, la focalisation du discours gouvernemental sur l'indice des prix pour éviter d'engager le débat public sur «l'ampleur et la diversité des inégalités de revenus et de consommation dans notre pays.»
«Changer la façon de compter en gardant apparemment le même indicateur». Troisième procédé, celui qui consiste à fausser le thermomètre : «Piloter les données administratives à la base de certains indicateurs constitue une troisième méthode usuelle de manipulation statistique. Depuis quatre ou cinq ans, elle est particulièrement prisée par nos gouvernants, même si leurs prédécesseurs ne s'interdisaient pas totalement d'y recourir». Les différentes chapitres du Grand truquage «fourmillent d'exemples de modifications institutionelles et de changement de méthode de gestion des services publics dont l'objectif principal – mais bien sûr inavoué – est de modifier les statistiques dans un sens favorable à l'évaluation de l'action gouvernemental.» Premier exemple clé, les «chiffres du chômage» qui par voie de réaffectation de «certains demandeurs d'emploi dans une nouvelle catégorie» ont baissé, par la grâce de l'ANPE, entre 2005 et 2007. Autre exemple clé : les «chiffres de la délinquance». Ainsi, par exemple, «déqualifier un délit en contravention, rassembler plusieurs faits dans un seul enregistrement, retarder la transmission au-delà de la clôture mensuelle de l'enregistrement sont (...) d'efficaces moyens pour faire passer des milliers de petits délits à la trappe» et un ex-ministre de l'Intérieur et omniprésident pompier pyromane en «super-flic».
Quatrième et dernière méthode de «tripatouillage» gouvernemental des statistiques , «faire dire à un chiffre ce qu'il ne dit pas», c'est-à-dire procéder «à de véritable détournement de sens des statistiques», procédé dont l'efficace est démultipliée, notamment, par la complaissance , professionnelle, des grands médias et, complice, de leurs donneurs d'ordre.
«La politique du bla-bla ayant succédé à celle du bling-bling»
Si cette typologie des techniques usuelles pour «accomoder les statistiques à la sauce gouvernementale» est d'un grand intérêt dans l'ensemble et le détail, l'intérêt du Grand truquage est encore accru par la richesse et la précision des analyses. Dans chacune des sept contributions qui en constituent le contenu – «Pouvoir d'achat : le grand camouflage»; «Les chiffres de l'emploi et du chômage : petits arrangemments entre amis»; «Les heures supplémentaires : beaucoup de bruit pour rien»; «Réduire la pauvreté...en changeant d'indicateur»; «Education : silence dans les rangs»; «Immigration : controverses...dans un désert statistique»; «Comment fabriquer les bons «chiffres de la délinquance» ?» - c'est à un vétitable réquisitoire contre les contes et mécomptes du sarkozysme ordinaire et à leur démystification en règle que se livrent les auteurs du Grand truquage. Avec un souci de rigueur scientifique qui fait de cet ouvrage publié aux éditions La Découverte un vade mecum citoyen et militant de premier ordre pour tout ceux qui ont pris conscience que «la politique du bla-bla ayant succédé à celle du bling-bling», il est temps, grand temps, de briser, collectivement, l'élan réactionnaire de cette puissance politique.
Jérôme Skalski
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