Manifestations, blocages d'établissements, distributions de tracts..., le projet gouvernemental de réforme du lycée fait l'objet d'une contestation grandissante de la part des élèves et des enseignants. Pour faire le point sur ce projet porté par Luc Chatel, ministre de l'Education nationale, Liberté 62 s'est entretenu avec Romain Gény, professeur de Sciences Economiques et Sociales (SES) au lycée Pablo Picasso d'Avion, responsable local du SNES.
Liberté 62 : «Actuellement, Luc Chatel, le ministre de l'Education nationale se dépense beaucoup dans les médias pour faire la promotion de son projet de réforme des lycées, réforme qui, si on s'en réfère à son discours, devrait satisfaire les élèves, leur parents et les enseignants. Pourquoi n'est-ce pas le cas ?»
Romain Gény : «Oui, si on la rapporte à la communication du ministre, effectivement, cette réforme du lycée est sensée assurer un meilleur accompagnement de l'élève. Elle est sensée proposer une meilleure orientation et donner plus de souplesse grâce à l'autonomie des établissements. En fait, il n'en est rien, et, à l'examen, c'est même tout le contraire.
Dans son contenu cette réforme porte des changements de structure et des changements d'organisation. En ce qui concerne les changements de structure, la première modification est celle qui concerne les classes de seconde générale. Dès la rentrée prochaine, si la réforme passe, très concrètement, c'est une diminution des horaires des élèves d'environ deux heures qui est programmée. Sachant que lorsqu'on enlève une heure aux élèves au niveau national, on supprime 900 postes et qu'il y a 16 000 postes à supprimer à la rentrée prochaine selon le gouvernement, on voit à quoi sert tout d'abord cette mesure.
Dans la réforme, il y a aussi la suppression de l'aide individualisée pour toutes les classes de seconde. L'aide individualisée, ce sont deux heures d'enseignement données en tout petit groupe : des groupes de huit élèves maximum en Français et en Maths notamment. C'est un dispositif qui existe depuis une petite dizaine d'années maintenant. Ce point est un argument de poids à opposer au ministre qui affirme qu'avec sa réforme, le travail de lycée sera plus personnalisé et mieux accompagné. En fait, c'est l'inverse qu'il fait : supprimer un dispositif qui permet d'avoir des élèves en tout petit groupe.
Autre point de la réforme : la disparition des horaires dits de dédoublement c'est-à-dire de la possibilité de diviser la classe en travaillant en demi-groupe pour travailler en module ou en TP. Cela se fait beaucoup en Sciences Physiques et en SVT (Sciences de la Vie et de la Terre ndlr) mais aussi en Histoire, en Français et en SES. Toutes ces heures qui permettent d'avoir la classe par moitié et de travailler de manière plus individualisée avec les élèves, éh bien, elles n'apparaissent plus dans les grilles horaires des élèves ! Il n'y a plus que des horaires en classe complète. En compensation, le projet de réforme prévoit de nous donner officiellement dix heures qui ne sont affectées à aucune discipline. De cette manière, dans chaque établissement, les profs seront mis en concurrence pour récupérer ces heures de dédoublement dans leurs disciplines respectives. Parce que, évidemment, si vous ne récupérez pas d'heures, à terme, votre poste est menacé. Cela nous ramène à une gestion des ressources humaines fondées sur la concurrence entre les salariés et cela veut dire aussi que, d'un lycée à l'autre, les horaires ne seront plus les mêmes pour une discipline donnée. Un élève pourra se retrouver dans un lycée avec zéro heures dédoublées en Maths alors que s'il était allé dans un autre lycée, il aurait eu trois heures dédoublées en Maths par exemple. Pratiquement, c'est la fin de l'égalité des élèves face à l'éducation.»
Liberté 62 : «Mais la création d'un accompagnement personnalisé proposé avec le projet de réforme de Luc Chatel n'est-il pas un progrès ?»
Romain Gény : «Oui, c'est la dernière grande dernière nouveauté ! Le problème, c'est que c'est vraiment de l'affichage mensonger de la part du ministre. D'un côté, on supprime l'aide individualisée, de l'autre, on crée de l'accompagnement personnalisé. Apparemment c'est équivalent contre équivalent : l'accompagnement personnalisé, c'est deux heures et l'aide individualisée, deux heures : cela a l'air de se compenser. Sauf que l'accompagnement personnalisé tel qu'il est prévu s'effectuera en classe complète c'est-à-dire que les élèves seront «accompagnés de façon personnalisée» à 35 par classe. Les parents commencent à se rendre compte de la supercherie. Si ces heures peuvent être dédoublées, théoriquement, et pourraient être données, en demi classe, ce que prévoit la réforme c'est que si on veut les dédoubler, il faudra prendre ces heures sur les dix heures de dédoublement déjà offertes : ce sera, pratiquement, moins de dédoublement pour les disciplines et encore plus de pénurie à gérer.»
Liberté 62 : «L'année dernière, la réforme de Xavier Darcos sur le lycée avait été repoussée suite à la mobilisation des lycéens et des enseignants. Qu'est-ce qui distingue la réforme du lycée de l'année dernière et celle d'aujourd'hui ?»
Romain Gény : «Avec la mobilisation de l'année dernière, nous avons mis en échec le gouvernement sur un certain nombre de choses notamment sur tout ce qui concerne l'organisation qu'on appelait modulaire et semestrielle de l'année scolaire. Le but de Xavier Darcos était de faire un lycée avec des modules, à la carte, organisé sur plusieurs semestres : c'était un lycée complètement éclaté et sans séries. Ces «propositions», officiellement, sont absentes de la réforme actuelle. Cela dit, dans certaines disciplines, apparaissent dans les grilles de seconde des horaires qui ne sont plus hebdomadaires mais annuels. Au fond, le gouvernement na pas complètement lâché sur ce point. Ce qui ne change pas, c'est que la réforme portée par Luc Chatel est tout sauf pédagogique. Elle n'est pas du tout pensée pour améliorer la réussite des élèves et notamment en direction des élèves des classes populaires. Elle n'est pas du tout pensée en termes de formation du citoyen. Pour le comprendre encore mieux, il faut se pencher sur ce qu'elle contient en terme de réforme de l'organisation des enseignements.
À peu près toutes les disciplines perdent des heures mais certaines plus que d'autres. Le débat sur l'Histoire-Géo montre quelque chose de particulier mais cela est vrai aussi pour les SES, la SVT ou les Sciences Physiques. Comment former mieux le citoyen ? En le formant moins ? Encore une fois, cette réforme n'a pas du tout été été pensée pour contruire un lycée plus intelligent ou plus efficace mais pour supprimer des postes. Dans le détail, si on prend la seconde, les disciplines qui souffrent le plus ce sont désormais ce qu'on appelle les enseignements d'exploration qui actuellement s'appellent les disciplines d'orientation. De trois heures par semaine, avec la réforme, elles passent à une heure et demie. Leur horaire est divisé par deux. Les enseignements concernés sont en particulier les enseignements technologiques, industriels et tertiaires, bref, toutes ces disciplines qui ont fait pour beaucoup dans la démocratisation du lycée. Pour les SES, c'est pareil : on passe de trois heures à une heure et demie. Si on regarde le cycle première et terminale, les SES perdent deux heures en première et une heure et demi en terminale. En série S, une diminution des enseignements scientifiques est programmée : il y aura moins de Maths, moins de Sciences Physiques et moins de SVT. En première L, il n'y aura plus de Maths du tout. Les langues vivantes sont particulièrement massacrées aussi par la réforme de Luc Chatel . La particularité des langues vivantes, c'est que tous les horaires de langue, LV1 comme LV2, seront globalisés. Toutes les terminales auront quatre heures de langue et chaque établissement établira la répartition horaire entre LV1 et LV2 à sa convenance. Encore une inégalité entre les établissement. Pour les série L, ce sera une heure de moins pour les langues vivantes par rapport à la situation actuelle. Avec la suppression de l'Histoire-Géo en terminale et son introduction en première dans le cadre d'un tronc commun à toutes les séries l'idée, encore une fois, est de supprimer des postes et de diminuer l'offre éducative publique.»
Liberté 62 : «Avec cette réforme, n'est-ce pas le bac, sa qualité et sa généralité, qui est visée ?»
Romain Gény : «Officiellement, non. Mais à partir du moment où tous les élèves n'ont pas le même horaire d'un lycée à l'autre, comment maintenir le bac si tous n'ont pas eu le même contenu d'enseignement en fonction de sa scolarité ? Cette menace sur le bac n'est pas à exprimée explicitement mais pèse particulièrement sur les filières technologiques et techniques. Il y a quelque chose qui se développe depuis pas mal d'années, c'est le contrôle en cours de formation. Ce n'est pas en soi une mauvaise chose mais le développement d'un contrôle par les profs pendant l'année cela veut dire que la note obtenue au bac et émise pour partie par le prof fait sortir le bac de l'anonymat et de la garantie d'une validité universelle. Avec un tel contrôle purement local, le bac tend à devenir un bac «maison», un bac à géométrie variable selon les réputations des établissements. Effectivement, avec des horaires qui changent d'un établissement à l'autre, derrière la réforme de Luc Chatel, une grave menace pèse sur le bac et l'égalité des élèves devant l'éducation.»
Propos recueillis par Jérôme Skalski
Publié dans Liberté 62 n°892
http://www.liberte62.com/article-liberte-62-n-892-41560192.html
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