mercredi 23 septembre 2009

FIL ET FILS D'ARIANE


Présentant Les fils d'Ariane, fragments d'un roman savoyard, Paul Desalmand souligne le fait qu'il a «mis tout [son] coeur et beaucoup de ruse» dans son ouvrage, l'un des «quatre ou cinq livre» qu'il avoue avoir «écrit».

L'autobiographie se présente, selon Philippe Lejeune, comme un «récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité». L'auteur du Pacte biographique en déduit inversement que «quelqu'un qui vous propose un roman - même s'il est inspiré de sa vie - ne vous demande pas de croire pour de bon à ce qu'il raconte». Avec Les fils d'Ariane, fragments d'un roman savoyard, Paul Desalmand, semble mettre «beaucoup de ruse» à mêler pacte autobiographique et fictionnel. Pacte autobiographique car la force prise par la révélation qui s'y touve mise en scène suppose la sincérité d'un «coeur mis à nu» ainsi que l'annulation de la mise à distance fictionnelle de cet aveu et pacte romanesque car, à l'évidence, cet aveu reste irrémédiablement pris dans la trame fictive de ces «fragments d'un roman savoyard» que nous propose l'auteur et dont un unique fil d'Ariane semble insuffisant à nous dégager.

«Tout mon coeur et beaucoup de ruse»

Mais ces apparentes tracasseries littéraires ont un mérite flagrant dans Les fils d'Ariane de Paul Desalmand. Elles s'exposent en un récit qui emporte la lecture avec beaucoup de joie et même souvent, jubilation. Elles sortent l'autobiographie de l'ennui qui, le narrateur le souligne, prend souvent le lecteur «étranger» face la passion introspective qui s'est emparée de l'auteur. Il faut en effet donner au moins un «petit coup de pouce» à la vérité des faits pour donner à l'autobiographique un attrait universel , c'est-à-dire, pour le dire le plus clairement, la trahir. De la trahison du «mentir vrai» s'entend.

Village savoyard, écriture et tout ce qui s'ensuit

Si le Dieu du monothéisme a créé le monde en sept jours, c'est peut-être qu'il a suivi le plan d'un menu d'anniversaire : première et seconde entrée, plat principal, fromage, dessert, café serré et corrigé et... dernières douceurs. Le tout accompagné d'un ample cortège de vins de haute volée et toujours sur de la grande musique. L'évocation de leur vie, à l'occasion d'un repas fraternel, par deux jumeaux fêtant leur soixante-dixième anniversaire, en suit en tout cas, par le menu, les étapes : plateau anatolien et sancerre rouge, coquilles Saint-Jacques et pouilly fumé, coq au vin et Château d'Ausone, parmesan, gorgonzola, roblochon et suite du Château d'Ausone - l'abominable tomme vendéenne mise de côté - , frutier et champagne rosé, café et grappa et... dernières douceurs. En tout sept chapitre plus un, soit 20% de trop par rapport au plan divin. Le tout, en bonne compagnie féminine. Car si, en couverture, la reproduction d'Oedipe et Le Sphinx de Gustave Moreau illustre Les fils d'Ariane et reflète l'un des foyer incandescent de ce livre – l'autre est symbolisé par une reproduction de La pointe d'Andey exhibée en quatrième de couverture - , n'est-ce pas plutôt à un concert champêtre – pareil à celui du Titien - que nous convie Paul Desalmand dans son roman ? Certainement, car en cet appartement montmartrois où il est sans cesse question d'un village savoyard au siècle dernier, d'écriture et de tout ce qui s'ensuit, deux muses, au moins, se sont invitées.

Jérôme Skalski


Paul Desalmand, Les fils d'Ariane, fragments d'un roman savoyard, Arcadia Editions, Paris, 2009. 14 euros.

www.arcadia-editions.com




Paul Desalmand est né le 24 août 1937 à 6 h du matin. Il est originaire d'un village de Haute-Savoie (Arenthon). A propos de ses origines, il lui arrive de dire, paraphrasant Tchekhov : « Je suis né dans le peuple. On ne me fera pas le coup des vertus populaires. » Enseignant, puis écrivant, il a publié entre 50 et 60 ouvrages en différents genres (parascolaire, vulgarisation, contes pour enfants, essai, histoire, etc.) dont il estime que quatre ou cinq seulement méritent le titre de livres : Cher Stendhal. Un pari sur la gloire, Écrire est un miracle (tous deux chez Bérénice), Picasso par Picasso (Ramsay), Le Pilon (Quidam éditeur) , Les fils d'Ariane, fragments d'un roman savoyard (Arcadia Editions).


Publié dans Liberté 62 n°878

Autre version dans La Terre du 29 septembre au 5 octobre 2009

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