Liberté 62 n°760 - Le 8 Juin 2007 – p.10 – Social
MEETING NATIONAL DE LA CGT SUR LA PÉNIBILITÉ AU TRAVAIL ET LE DROIT À UN DÉPART ANTICIPÉ EN RETRAITE
Par Jérôme Skalski
À la veille d'une rencontre entre syndicats et organisations patronales au siège central du Medef pour relancer la négociation - prévue par la loi Fillon sur les retraites de 2003 mais bloquée par le patronat - sur la pénibilité au travail ainsi que sur le droit à un départ anticipé en retraite pour les salariés particulièrement exposés, la CGT a organisé un meeting à Dunkerque, ce lundi 4 juin, dans le cadre d'une journée nationale d'actions.
CE rassemblement faisait écho à de nombreuses autres initiatives prises par la CGT dans toute la France - manifestations, distributions de tracts à la porte des entreprises, regroupements devant les chambres patronales ou encore devant les sièges locaux du Medef – pour peser sur une négociation prévue officiellement depuis quatre ans afin de prendre en compte l'usure prématurée des salariés exposés à des conditions de travail pénibles et leur reconnaître un droit à partir en retraite anticipée, négociation se heurtant au bloquage des organisations patronales.
Une journée nationale d'actions pour peser sur le patronat
À Dunkerque, les syndicalistes de la CGT étaient nombreux à s'être déplacés et représentaient les travailleurs des métiers les plus divers des secteurs public et privé – bâtiment, métallurgie, chimie, santé, commerce, transports... Venus pour la plupart du Nord, du Pas-de-Calais, des Ardennes, de Picardie, de Normandie, de la région parisienne, mais aussi, pour certains d'entre eux, de la région de Marseille ou de Lyon, ils étaient plus de 1 500 à se presser sous les voûtes du Kursaal.
Témoignages et revendications
À leur arrivée, quelques-uns ont témoigné et exposé leurs revendications. Régis, salarié dunkerquois dans le secteur du bâtiment a souligné : "Dans le bâtiment et les travaux publics, notre boulot est un boulot pénible. Une fois notre carrière faite, nous, on ne demande qu'une chose, c'est de pouvoir partir à 55 ans." Une aide soignante à l'hôpital de Denain, a évoqué pour sa part les conditions singulièrement pénibles de son travail du fait du manque d'effectif dans le secteur hospitalier : " Moi, je tiens à mon métier a-t-elle affirmé, mais, en fait, l'hôpital et son personnel sont malades. Pour nous, la pénibilité, c'est le poids et la charge de travail. On nous impose les nuits soit-disant sur la base du volontariat. On nous impose des plannings et l'on doit se débrouiller avec nos collègues. Pour tout ce qui est arrêt maladie, arrêt de travail ou arrêt de maternité, on se remplace les uns les autres."
En France, cinquième puissance économique mondiale, le travail abîme, le travail use, le travail tue
Agnès Le Bot est ensuite intervenue au nom du Comité Régional CGT et des Unions Départementales CGT du Nord et du Pas-de-Calais : "Demain, a-t-elle tout d'abord déclaré, est un nouveau rendez-vous avec le Medef sur les questions de retraite anticipée. Alors que les représentants du patronat refusent obstinément de négocier sérieusement sur la pénibilité du travail, l'heure n'est plus, pour lui, à la reculade. Il n'est pas inutile de rappeller ici quelques évidences. Nous sommes en France aujourd'hui. Cela veut dire que nous produisons ici la richesse de la cinquième puissance économique mondiale et pourtant, alors que certains hommes politiques dressent en continu le pavillon de la "valeur travail", un véritable scandale caractérise notre pays : en France, le travail abîme, le travail use, le travail tue parfois. Parce qu'on a travaillé de nuit ou en horaires alternés, parce qu'on a été exposé à des produits toxiques, à des températures excessives et autres nuisances, parce qu'on a été ouvrier dans le bâtiment et les travaux publics, bref, parce qu'on est usé prématurément à cause de ses conditions de travail, on doit disposer d'un droit à la retraite anticipé."
Elle a prévenu : " Demain, ce n'est pas seulement devant quelques camarades de la CGT que le Medef devra répondre. Le Medef doit savoir que demain s'il choisit la dérobade et les petites manoeuvres, c'est devant les miliers de salariés en attente d'un repos bien mérité après des années de dur labeur qu'il sera tenu de répondre."
Transformer l'organisation et les conditions de travail pour permettre l'amélioration de la santé dans le cadre d'un nouveau statut du travail salarié
Agnès Le Bot en a ensuite appelé à la mise en oeuvre, au-delà des "mesures d'urgence", d'une profonde transformation "de l'organisation et des conditions de travail pour non seulement éliminer préventivement tout risque d'usure, mais aussi permettre l'amélioration de la santé dans le cadre d'un nouveau statut du travail salarié" : "Ce qui est posé, a-t-elle déclaré, c'est la reconnaissance et la prise en charge du risque, des maladies et de la prévention de celle-ci par les employeurs. Il faut permettre à tous les salariés de pouvoir agir de manière effective pour améliorer les conditions de travail, prévenir l'accident et la maladie" alors que le patronat refuse de reconnaître ses responsabilités et se mobilise, souvent avec l'aide des pouvoirs publics, pour s'opposer à la mise en place d'un droit à la santé qui ne soit pas "à géométrie variable en fonction du statut du salarié, de son âge ou de la taille de son entreprise".
Un moment de vérité pour le patronat et le gouvernement
À la suite d'une table ronde au cours de laquelle différents représentants du monde du travail ont apporté leur témoignage à la tribune – voir ci-dessous -, Bernard Thibault, secrétairegénéral de la CGT, a conclu : "Au nom de la CGT, a-t-il déclaré, je fais aujourd'hui une proposition qui permet de traiter l'urgence des situations et qui donne le temps de mettre en place un système élaboré conjuguant la prévention de la pénibilité et sa réparation. Le premier volet doit être un dispositif de départ d'urgence en retraite anticipé pour les salariés qui ont aujourd'hui entre 55 et 60 ans et qui ont exercé pendant au moins 15 ans des travaux pénibles, astraignants ou des emplois qui les ont exposés à des produits dangereux." Il a aussi pris date : "Nous ne laisserons pas plus longtemps usurper la valeur travail et le respect qu'on lui doit pour les convertir en leçons de morale patronales ou en poudre aux yeux électorales (...) Le nouveau gouvernement annonce la tenue d'une conférence sur les conditions de travail en septembre prochain. Si elle se confirme, nous entendons nous y rendre dans un esprit offensif et rassembleur pour y porter les exigences des salariés. Nous voulons des résultats concrets, des mesures de réparation pour tous ceux qui souffrent et ont souffert dans leur chair de mauvaises conditions de travail (...) Assez tergiversé (...) Nous sommes à un moment de vérité pour le patronat et le gouvernement."
Choses dites...
L62-760-p10-11-A-html-405e7682.jpgMARCEL, salarié dans une entreprise de chimie à Mardyck : "Nous sommes, dans la chimie comme dans beaucoup de professions , exposés à des pénibilités liées au travail. En premier lieu, je pense à celles que subissent les travailleurs postés, aux horaires décalés avec toute les conséquences que cela peut avoir, avec la course permanente au sommeil, sur la vie de famille. Je pense également au stress qui est lié à nos métiers. Je pense aussi aux diverses expositions des salariés, aux expositions dues au travail mené en extérieur comme en usine, de jour comme de nuit : aux expositions à la chaleur, au bruit, au froid (dans nos installations on côtoie des températures qui atteignent quelquefois les -150, -170 °C !), aux expositions liées au port de charges lourdes, aux expositions liées au travail devant écran qui sont apparues depuis une quinzaine d'années et qui se sont généralisées dans toutes les salles de contrôle. Et je pense également, particulièrement,à ces expositions dont on a beaucoup parlé, aux produits cancérigènes et toxiques. L'ensemble de ces risques et de ces expositions ont un effet cumulé dans notre profession et font que, à terme, les espérance de vie sont vraiment mises en cause. On en arrive à avoir une pénibilité au travail qui prend une dimension très particulière pour ceux qui travaillent dans nos installations classées Seveso et à cette aberration qui fait qu'alors que les salariés doivent maîtriser plus encore qu'hier leur métier, avec des questions de vigilance accrues, on les contraint à travailler au delà de 55 ans."
DENIS, salarié de la construction chez Eiffage : " Nous voulons un salaire décent pour une vie décente. On a beau nous dire qu'il faut "travailler plus pour gagner plus", chez nous c'est : debout le matin à 5h et retour le soir vers 17h. Moi, j'invite ces gens à venir voir les ouvriers qui se lèvent tôt mais aussi passer la journée avec eux pour voir la réalité des choses ! Nous demandons la retraite à 55 ans pour les salariés exerçant un métier pénible, comme dans notre secteur le BTP. Ce ne serait que justice ! Chez nous, au 31 décembre 2006, la moyenne d'âge dans notre entreprise se situe entre 42 et 44 ans : 63 ouvriers ont plus de 50 ans, soit environ 25 % de l'effectif. Beaucoup d'entre eux sont en arrêt maladie et ne retravailleront certainement plus jamais. Après des dizaines d'années d'exposition à la dureté de l'hiver, à la canicule l'été, à l'humidité constante de notre région, nous sommes tous atteints de troubles musculosquelettiques : os broyés, arthrose chronique, la liste est longue... Chez nous, l'espérance de vie d'un ouvrier de la construction est inférieure à 7 ans à celle d'un cadre."
MARTINE, conductrice de métro à la RATP : "À la RATP, nous avons un régime spécial de retraite notamment pour les conducteurs, pour les vendeurs de tickets et pour les agents de la maintenance qui assurent la sécurité des usagers au quotidien. La plupart travaillent en horaires décalés avec tout ce que cela pose comme problèmes. Contrairement à ce que disent certains, ce n'est pas être privilégiés : ce régime spécial ne sort pas de nulle part mais d'une histoire de luttes et n'est que la reconnaissance de la pénibilité dans notre métier. Nous, on considère que partout où les salariés vivent des situations de travail au moins aussi difficile que les nôtres, voire plus difficiles que les nôtres, ils devraient avoir le droit de partir plus tôt à la retraite pour profiter de ce temps. Si notre régime de retraite est spécial et est un petit peu plus favorable que celui des autres, la solution ce n'est pas de le supprimer, c'est en fait d'aligner tous les autres sur le nôtre."
FATIMA, salariée dans une société de nettoyage : "Dans notre secteur, les conditions de travail*sont indignes de notre époque et il est temps d'alerter l'opinion publique à ce sujet. Ce travail est hautement précaire, souvent à temps partiel. C'est un travail essentiellement féminin qui touche des femmes qui doivent gérer leur vie de famille. Les femmes commencent à 4h ou 5h du matin. Elles font deux heures de travail entre 6h et 8h. Elles reprennent entre midi et 14h et retravaillent souvent le soir de 18h jusque 21h. Et ceci tous les jours, du lundi au dimanche ! Ensuite, elles ne sont jamais tranquilles. A tout moment, leurs horaires peuvent être diminués sur leur contrat de travail parce que ce sont les clients qui sont donneurs d'ordre. Ils exigent toujours moins d'heures pour un contrat revu à la baisse mais avec une même charge de travail. Elles subissent aussi les contraintes du patronat qui veut garder sa marge bénéficiaire malgré la baisse de coûts demandée par le client.»
http://www.liberte62.com/article-10769428.html
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