dimanche 8 mars 2009

Noam Chomsky - «Offrir l'asile aux terroristes n’est pas du tout une action secrète aux Etats-Unis»

«Offrir l'asile aux terroristes n’est pas du tout une action secrète aux Etats-Unis»
Article publié dans Liberté 62 n°847


Professeur émérite de linguistique du Massachussets Institute of Technologie, créateur de la grammaire générative et transformationnelle, figure majeure de la gauche américaine , théoricien du pouvoir et des médias, intellectuel engagé ayant signé, notamment, la pétition en faveur de la libération des «5 patriotes cubains» injustement incarcérés aux Etats-Unis, Noam Chomsky s'entretient avec liberté 62 au sujet de Cuba et de la politique étrangère nord-américaine.


Liberté 62 : “Dans votre livre L'ivresse de la Force vous déclarez que «les Etats Unis sont le pays hors la loi par excellence, totalement affranchi du droit international». Le blocus étasunien de Cuba qui dure depuis maintenant près de 50 ans, blocus dénoncé par de nombreuses résolutions de l'Assemblée Générale de l'ONU et que vous qualifiez de «stratégie d'étranglement de Cuba», semble illustrer ce fait de manière exemplaire. Comment les Etats-Unis, en l'occurrence, peuvent-ils simultanément violer le droit international et se présenter, en Amérique latine et à Cuba, comme le champion du droit et de la démocratie ?

Noam Chomsky
: «La guerre terroriste contre Cuba, qui a atteint son apogée sous Kennedy, a été incontestablement menée en violation du Droit International. Le but explicite de l’embargo a bien été de punir les Cubains : selon les mots même employés par Kennedy, il provoquerait «un inconfort croissant parmi les Cubains affamés» qui, alors, renverseraient le gouvernement. Ceci apparaît comme une violation claire des lois humanitaires internationales, et a été condamné en ces termes à plusieurs reprises par l’Organisation des Etats Américains – organisation par ailleurs d'ordinaire plutôt soumise à la cause américaine. Mais ce ne sont que de mineures illustrations du mépris qu’a Washington pour le Droit international – mépris largement partagé par d’autres grandes puissances, bien que peu d’entre-elles soient capables de violer le Droit international de manière aussi outrancière que la super puissance mondiale.
Comment Washington peut-il se présenter comme le champion de la justice et de la démocratie au regard de cette attitude persistante ? La réponse fondamentale à cette question a été fournie par Hans Morgenthau, un des fondateurs de l’école réaliste de la théorie des relations internationales. Il a souvent écrit sur «notre asservissement conformiste à l'égard de ceux au pouvoir» en faisant référence aux classes intellectuelles et parmi elles au grand nombre de ceux qui se regardent eux-même comme de courageux et d'indépendants esprits critiques.»

Liberté 62 : «Vous vous êtes engagés pour soutenir les «5 de Miami», agents cubains accusés de conspiration contre la sécurité des États-Unis. Pouvez-vous expliquer le sens de votre démarche ?»

Noam Chomsky : «L’accusation n’a fait aucun effort sérieux pour montrer qu’ils avaient conspiré contre la sécurité américaine. Il a été plutôt concédé qu’ils cherchaient à déjouer les attaques terroristes basées sur le sol américain contre Cuba en infiltrant les organisations terroristes aux Etats-Unis. En fait, ils ont fourni énormément d’informations au FBI concernant ces organisations, leurs plans et leurs opérations. La réaction de Washington a été de laisser les mains libres aux les organisations terroristes, et d’arrêter et d’emprisonner ceux qui cherchaient à les dénoncer.
Pour ceux que cela intéresse, il y a une «doctrine Bush» qui soutient que «ceux qui abritent des terroristes sont aussi coupables que les terroristes eux-mêmes», selon les propres mots du Président, et que par conséquent ces protecteurs doivent être soumis aux bombardements et à l’invasion. Selon le spécialiste des Relations Internationales de l’Université de Harvard Graham Alison , «la doctrine Bush est déjà un règle de facto dans les relations internationales», doctrine qui révoque «la souveraineté des états qui offrent l’asile aux terroristes.» Certains Etats, cela dit...
Mais on devrait ajouter qu’offrir l'asile aux terroristes n’est pas du tout une action secrète aux Etats-Unis. Ainsi Bush I a offert l’asile au terroriste Américano-Cubain Orlando Bosch, et ceci malgré les objections du FBI et du Ministère de la Justice qui voulaient l’expulser car il présentait une menace pour la sécurité des Etats-Unis au vu d’une douzaine d’actions terroristes qui lui étaient attribuées. Et Bush II a permis à l’associé de Bosch, Luis Posada Carriles, une autre pointure du terrorisme, de le rejoindre à Miami. Ces exemples ne sont que les plus flagrants...

Liberté 62 : «Dans un chapitre que vous consacrez à l'Amérique latine dans votre livre (Amérique latine : ça bouge dans l'arrière-cour), vous déclarez que «ceux qui tiennent la matraque exigent l'amnésie historique». A l'occasion du cinquantenaire de la révolution cubaine et à l'heure où «c'est la première fois depuis la conquête espagnole que l'Amérique latine prend des mesures orientés vers l'indépendance et l'intégration», comment lutter contre cette amnésie et en faveur de ce processus d'émancipation historique ?

Noam Chomsky : «L’amnésie historique est secrétée par ceux que Morgenthau condanne. On n’a pas besoin de pouvoirs magiques pour surmonter cette amnésie : il faut juste de l’honnèteté et du dévouement pour révéler la vérité et participer aux mouvements populaires pour civiliser le pays. Cela a déjà souvent eu lieu par le passé, et même récemment. Et il y a toujours plus à faire.
Pour prendre un exemple en cours, en septembre 2008, l' UNASUR – la récente Union des Etats Sud Américains – s’est réunie à Santiago pour évaluer les actions violentes menées par le mouvement des élites Boliviennes soutenues par les Etats-Unis dans leurs efforts pour renverser le gouvernement démocratiquement élu. Le sommet s’est terminé par une déclaration de soutien très fort au gouvernement de Morales. Morales a remercié l'UNASUR pour son soutien, observant que pour la première fois dans l’histoire de l’Amérique du Sud, les pays de la région avaient décidé par eux-même de la manière de résoudre leurs problèmes, sans la présence des Etats-Unis.
Ceci est d’une importance considérable et n’a pas fait l’objet de reportages aux Etats-Unis. Sans doute parce que la vérité, une fois de plus, rentrait de manière dramatique en conflit avec les doctrines du soutien américain et de la bienveillance américaine à l'égard de la démocratie, doctrines brandies haut et fort par les intellectuels conformistes – média inclus. Mais la «trahison des clercs» peut être vaincue, comme cela a souvent été le cas par le passé.

Propos recueillis par Jérôme Skalski
Traduction, Marie Nivet


http://www.liberte62.com/article-27724526.html

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